Les Nations unies viennent de publier leurs projections démographiques pour le XXIe siècle. Dans quelle direction allons-nous ?

Le seuil de 8 milliards d’êtres humains sera franchi le 15 novembre prochain d’après ces projections. Nous étions 1 milliard en 1800. Formidable accroissement ! Et dans leur scénario moyen, les Nations unies annoncent qu’on serait près de 10 milliards en 2050. Nous ne serions guère plus ensuite puisque nous atteindrions en 2100 le nombre de 10,4 milliards. Première conclusion : la multiplication du nombre des humains, c’est du passé. Nous sommes parvenus à la fin de cette période unique de l’histoire où les humains auront vu leur effectif décupler en trois siècles.

Ces 10 milliards constitueraient-ils une sorte de pic ?

Ce serait un plafond, ou un maximum, auquel on arriverait doucement et dont on s’éloignerait graduellement. On observe une décélération de la croissance depuis un peu plus d’un demi-siècle. Le taux d’accroissement de la population mondiale a atteint un maximum de plus de 2 % par an il y a soixante ans. Et, depuis, il n’a cessé de baisser, jusqu’à atteindre 1 % par an aujourd’hui. Dans le scénario moyen des Nations unies, il continue de baisser jusqu’à la croissance zéro dans la décennie 2080. Nous aurions ensuite une légère décroissance.

Quelles en sont les causes ?

Les deux facteurs qui agissent sur la population mondiale sont la mortalité et la fécondité. La mortalité a tendance à baisser partout. On l’exprime souvent par l’espérance de vie à la naissance. Il faut savoir qu’il y a plus de deux siècles, elle se situait entre 20 et 30 ans. Actuellement, l’espérance de vie à la naissance est estimée à 73 ans dans le monde et l’hypothèse est qu’elle va continuer d’augmenter. L’autre facteur, c’est la fécondité, c’est-à-dire le nombre d’enfants que les femmes mettent au monde. L’ONU l’estime à 2,3 enfants par femme en moyenne aujourd’hui. Et elle diminue d’année en année. Dans le scénario moyen des Nations unies, elle serait de 2,1 enfants en 2050 et 1,8 en 2100. Le ralentissement de la croissance démographique mondiale tient à cette baisse de la fécondité.

Connaît-on les raisons qui ont poussé les couples à avoir moins d’enfants ?

Cela reste un sujet de recherche. Ce qui est sûr, c’est que ce mouvement a commencé dès la fin du XVIIIe siècle : les femmes et les couples se sont mis à limiter volontairement les naissances, d’abord en Europe et en Amérique du Nord, puis dans les autres continents. On est passé d’une situation où Dieu était censé décider du nombre de vos enfants à une période où cette décision relève du couple. L’individualisme et la distance à l’égard des idées religieuses ont probablement joué un rôle clé. La baisse de la mortalité des enfants a aussi pesé, dans la mesure où il n’est plus besoin d’en avoir beaucoup pour que certains d’entre eux parviennent à l’âge adulte.

L’Afrique sera-t-elle l’hyperpuissance démographique du XXIe siècle ?

Aujourd’hui, ce continent compte 1,4 milliard d’habitants. Il est intéressant de noter que c’est le même effectif que l’Inde ou la Chine. Ces trois ensembles additionnés représentent plus de la moitié de la population mondiale. Pour ce qui est de l’Afrique, elle compte 2 milliards et demi d’habitants en 2050 dans le scénario moyen des Nations unies, et 3,9 milliards en 2100. Aujourd’hui, un humain sur six vit en Afrique ; en 2050, ce sera un sur quatre et, en 2100, plus d’un sur trois. L’Afrique va donc voir sa part dans l’ensemble démographique mondial augmenter.

L’ONU estime la fécondité de l’Afrique à 4,2 enfants en moyenne par femme. C’est nettement au-dessus de la moyenne mondiale, mais elle baisse puisqu’il y a quarante ans, c’était six enfants et demi.

« Un taux de fécondité ne se décide pas en Conseil des ministres. Cela reste une affaire de couple ! »

On peut noter que les deux tiers de l’humanité vivent dans un pays ou une région où la fécondité est inférieure à 2,1 enfants par femme. C’est le seuil de remplacement, ce qui veut dire qu’à terme la population est stationnaire si ce niveau se maintient. Les régions où la fécondité est encore élevée, égale ou supérieure à deux enfants et demi par femme, comprennent actuellement presque toute l’Afrique, une partie du Moyen-Orient et une bande en Asie qui va du Kazakhstan au Pakistan en passant par l’Afghanistan. L’essentiel de la croissance démographique mondiale se situera dans ces régions.

Et la Chine ?

Elle ne dépassera pas 1,4 milliard d’habitants et devrait même voir sa population baisser dès l’an prochain. Elle a atteint son maximum. Dans le scénario moyen, elle est donnée avec 770 millions d’habitants en 2100, soit près de deux fois moins qu’aujourd’hui. Il s’agit d’une diminution importante. Son taux de fécondité est estimé à 1,2 enfant en 2022.

Quel a été l’impact de la politique de l’enfant unique ?

Le gouvernement chinois a abandonné la politique de l’enfant unique en 2015 et institué la politique de trois enfants l’an passé. Pour l’instant, cela n’a rien changé. Le taux de fécondité n’a jamais été aussi bas. Cela amène à se poser la question suivante : une politique de relance de la natalité peut-elle avoir un effet ? Un taux de fécondité ne se décide pas en Conseil des ministres. Cela reste une affaire de couple !

L’Europe n’est-elle pas confrontée au même problème ?

Nos pays font en effet face à un vieillissement de leur population. Particulièrement ceux du Sud. Les Italiennes et les Espagnoles ont 1,3 enfant chacune en moyenne, les Portugaises et les Grecques, 1,4. On est donc en dessous de la moyenne européenne qui est de 1,5 enfant en 2022. Avec 1,8 enfant par femme la France a le taux de fécondité le plus élevé d’Europe.

Ce n’est pas seulement une question de moyens accordés à la politique familiale : 4 % du PIB en Allemagne, en France et dans les pays nordiques. C’est aussi une question d’égalité entre hommes et femmes, que ce soit au travail ou à la maison. Contrairement à ce que l’on croit, les femmes ont davantage d’enfants dans les pays où la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale est la plus facile. En regard, les sociétés d’Asie de l’Est – comme le Japon, la Corée du Sud ou la Chine – sont encore très inégalitaires avec un statut des femmes peu favorable par rapport à celui des hommes, et un partage des tâches très inégal.

Les projections de l’ONU pour 2050 et 2100 nous disent-elles quelque chose des flux migratoires à venir ?

Les migrations internationales vont se poursuivre, mais il ne faut pas surreprésenter leur poids dans les évolutions démographiques. Il faut savoir que les immigrés, c’est-à-dire les personnes nées dans un autre pays que celui où elles habitent, représentent une minorité de la population mondiale, moins de 4 %.

À peu près 300 millions ?

Autour de 300 millions. Et la part des humains qui sont des immigrés a assez peu changé, c’était entre 2 % et 3 % il y a cinquante ans. Il y a une augmentation absolue du nombre d’immigrés parce que la population mondiale a augmenté. Mais en part de l’humanité, ça reste une toute petite minorité. En revanche, la répartition des immigrés n’est plus la même. On a assisté à un renversement des flux migratoires entre le Nord et le Sud depuis cent ans, pour reprendre l’expression d’Alfred Sauvy. Ce sont désormais les pays du Sud qui fournissent une part importante des immigrés.

Les migrations internationales vont se poursuivre, mais sans entraîner une redistribution majeure de la population mondiale. Il y a ce fantasme d’un afflux de migrants subsahariens en Europe ou de migrants latino-américains aux États-Unis. Cela nourrit les peurs. Mais la plupart des migrations d’Afrique subsaharienne s’effectuent à l’intérieur de l’Afrique. Ce sont des personnes qui sont nées dans un pays d’Afrique et qui ont migré vers un autre pays d’Afrique souvent proche. L’Afrique émigre au loin de façon moins importante que les autres continents.

Pourquoi ?

C’est que l’Afrique est pauvre. C’est une observation générale des études sur les migrations internationales : plus les personnes sont pauvres, moins elles émigrent au loin. La migration demande un certain niveau d’instruction, des ressources, un capital. Avec le développement attendu de l’Afrique subsaharienne, les flux devraient augmenter, et la part des immigrés subsahariens dans la population totale de l’OCDE pourrait être multipliée par six d’après une étude du FMI, passant de 0,4 % en 2013 à 2,4 % en 2050.

Il est illusoire de penser pouvoir beaucoup agir sur le nombre des humains à l’horizon des prochaines années et décennies

Certains pays du Nord cherchent à contenir les migrations des Africains par des politiques d’aide au développement. C’est une fausse idée de penser que cela va stopper les migrations africaines. Le développement est plus que souhaitable, mais il ne faut pas en attendre une réduction des flux migratoires. Cela ne peut que les favoriser.

Que valent les projections des démographes ?

Les projections démographiques sont relativement sûres lorsqu’il s’agit d’annoncer l’effectif de la population dans les dix, vingt ou trente prochaines années. La plupart des humains qui vivront alors sont en effet déjà nés, on connaît le nombre de ceux vivant aujourd’hui, et l’on peut sans trop d’erreurs donner la proportion de ceux qui mourront d’ici là. Concernant les nouveau-nés qui viendront s’ajouter, leur nombre peut également être estimé, car les femmes qui mettront au monde des enfants dans les vingt prochaines années sont déjà nées, on connaît leur effectif et on peut faire pareillement une hypothèse sur leur fécondité.

Serons-nous trop nombreux pour notre planète ?

Il est illusoire de penser pouvoir beaucoup agir sur le nombre des humains à l’horizon des prochaines années et décennies. S’il augmente, c’est à un rythme qui décélère de lui-même, les femmes et les hommes ayant fait le choix d’avoir peu d’enfants, tout en leur assurant une vie longue et de qualité. L’humanité n’échappera cependant pas à un surcroît de 2 milliards d’habitants d’ici à trente ans, en raison de l’inertie démographique que nul ne peut empêcher. Il est possible d’agir en revanche sur les modes de vie, et cela sans attendre, afin de les rendre plus respectueux de l’environnement et de la biodiversité et plus économes en ressources. La vraie question, celle dont dépend la survie de l’espèce humaine à terme, est finalement moins celle du nombre des humains que celle de leur mode de vie. 

Propos recueillis par LAURENT GREILSAMER & FLORIAN MATTERN

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