Dans un monde cerné de fake news et d’informations trop complexes, voire contradictoires, dans lequel les médias sont de plus en plus remis en cause par les citoyens, le statut de la vérité vacille. L’époque ébranle les repères de notre certitude : crise sanitaire et économique majeure, réchauffement climatique, terrorisme, transformations sociales et culturelles profondes… Ce qui apparaissait il y a encore peu comme la réalité semble s’être évanoui. Les rationalités et les principes du monde d’hier en viennent à être considérés comme des hérésies. Les rapports hommes-femmes, l’environnement, l’accumulation de richesses, le travail, l’ascenseur social, l’État de droit, la laïcité, l’universalisme… les fondements de notre société sont mis à mal, voire remis en cause au nom de vérités nouvelles.

Dans ce contexte de dissolution du sens, la défiance explose. Un nombre croissant de nos concitoyens, désorientés, est persuadé que l’on nous ment. Cette litanie est omniprésente sur les réseaux sociaux, nourrit la rhétorique des populistes de tous bords, tandis que les esprits raisonnables se bouchent les oreilles et se cachent les yeux devant de tels débordements d’irrationalité manifeste.

Avons-nous pourtant tenté de nous demander, l’espace d’un instant, s’ils n’avaient pas en partie raison ? Et si les complotistes étaient des amoureux de la vérité qui se trompent de mensonges ?

L’hypothèse peut sembler audacieuse. Il est en effet difficile de donner du crédit à ceux qui défendent l’idée que le gouvernement français aurait vendu des parties du territoire à des multinationales alliées aux islamistes, ou aux tenants de la théorie selon laquelle le Mossad aurait organisé les attentats du 11 septembre 2001.

C’est qu’il faut chercher les véritables mensonges ailleurs : dans notre réalité quotidienne. Ne nous répète-t-on pas à l’envi que les diplômes préservent du chômage et sont la garantie d’un travail satisfaisant et bien rémunéré ? Que travailler dur permet d’avoir une vie décente ? (Les Gilets jaunes apprécieront.) Que la production et la consommation de biens sont la clé de notre épanouissement collectif ? Que nos dirigeants, garants de l’intérêt général, sont en mesure de gérer seuls l’intégralité des problèmes qui se posent à nos sociétés ? Et ce, alors même que les travailleurs pauvres sont légions, que les bullshit jobs, les emplois vides de sens et sans intérêt, pullulent au sein d’une génération surdiplômée, que l’apocalypse écologique guette, que les lobbies perturbent la décision publique et que l’action de nos dirigeants ne cesse de déchoir au plan du réel…

Toutes ces vérités d’hier devenues des mensonges, répétés faute d’imagination et de capacité à inventer le monde de demain, distillent en nous un poison plus venimeux que mille fausses nouvelles. Parallèlement, la distance prise par la politique avec la réalité des problèmes mis en lumière par les études scientifiques ou par les citoyens eux-mêmes contribue à son enfermement dans un monde magique coupé du réel.

Il n’est dès lors pas étonnant que, dans l’incapacité de faire entendre leurs doutes à l’intérieur d’un système médiatique largement verrouillé, les citoyens les plus critiques recherchent dans des fantasmagories la clé de leur sentiment de malaise. Plus que de les blâmer, il serait grand temps de s’attaquer à ces mensonges qui les révoltent.

Cela porte un nom, cela s’appelle : faire de la politique. 

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