Le complotisme est partout chez lui. Spécialement dans l’actualité. L’épidémie de Covid-19 en est un bon exemple. Pour les uns, la CIA a fabriqué le virus pour déstabiliser Pékin ; pour les autres, il a été diffusé par la Chine afin de fragiliser le reste du monde ; à moins que la deuxième économie mondiale n’ait voulu se servir du coronavirus pour diminuer le nombre de ses habitants… Dans l’élection américaine, une autre théorie du complot a joué à bas bruit un rôle considérable chez les supporters de Donald Trump : les élites démocrates, au plus haut niveau, seraient coupables de crimes pédophiles et parviendraient à masquer leurs forfaits tout en tirant les ficelles du pouvoir financier mondial. Ce roman est depuis des mois feuilletonné sur Internet par des sites qui puisent leurs « révélations » auprès d’une source prétendument haut placée, surnommée « Q », qui tient bien sûr à conserver l’anonymat…

Pourquoi attacher de l’importance à de telles énormités ? Pourquoi y consacrer un numéro ? Parce que ces fables sont à ce point puissantes qu’elles structurent la vision du monde d’une large part de nos contemporains, comme le montrent deux études de l’Ifop. Lorsqu’on demande en France s’il existe un complot sioniste mondial, il se trouve plus de 20 % des personnes sondées pour répondre oui. Lorsqu’on demande si l’immigration est organisée par les élites en Europe pour aboutir au remplacement des populations d’origine, 25 % opinent.

Les effets politiques du complotisme peuvent être ravageurs. Les tragédies du XXe siècle ne nous ont hélas pas vaccinés. Les Protocoles des sages de Sion, pamphlet antisémite diffusé à partir de 1903, ont provoqué nombre de pogroms dans la Russie tsariste. Il a ensuite directement inspiré Hitler et ses théories raciales conduisant à l’extermination des Juifs d’Europe. Diffusé aujourd’hui sans compter dans le monde arabe, ce pamphlet absurde nourrit l’antisionisme.

Internet amplifie désormais la circulation de ces fables tantôt sinistres tantôt loufoques (la Terre est plate, des extraterrestres gouvernent notre monde, etc.). Pour lutter contre cet irrationnel, sans doute faut-il croire à l’éducation, parier sur l’intelligence. Il faut aussi bien mesurer à quel point un monde en panne d’espérances, en proie au catastrophisme permanent, peut céder à l’emprise d’explications simplistes. Pouvoir tout expliquer en désignant un seul coupable (la CIA, les Juifs, les francs-maçons, Big Pharma) rend la vie plus facile et confortable. Chaque événement s’éclaire miraculeusement grâce à une grille magique qui distingue les bons et les méchants. 

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