En Autriche, un droit légitime
ReportageTemps de lecture : 5 minutes
VIENNE. La porte de l’appartement s’ouvre brusquement. « Pardon, je suis en retard, » s’excuse Polly, 15 ans, en prenant place à table. Elle a rendez-vous pour dîner avec son frère Joseph chez leurs amis Ben et Philip. Les garçons ne l’ont pas attendue pour engager la conversation. Un sujet bien particulier les anime : la victoire de l’extrême droite au premier tour de l’élection présidentielle, deux jours auparavant.
Âgés de 18 ans, Joseph et Philip se sont rendus dans l’isoloir, conscients du poids que peut peser leur bulletin. Ils connaissent l’histoire politique de leur pays par cœur et sont incollables sur les candidats et leurs programmes. « C’est la troisième fois que je vote, déclare Joseph en grignotant des cacahuètes. La première, c’était à l’occasion des élections européennes. La deuxième, pour celles du district de Vienne. Je suis fier d’avoir ce droit. »
En Autriche, depuis maintenant neuf ans, le droit de vote s’acquiert dès l’âge de 16 ans. Pour ces quatre lycéens, il s’agit d’un droit légitime qu’ils n’imaginent pas se voir retirer. « 16 ans, c’est l’âge auquel tu as le droit de fumer, de boire, de te marier, de quitter l’école, et de commencer à mener ta vie comme tu l’entends, dit Joseph. Si je suis autorisé à faire des erreurs, je dois aussi avoir la possibilité de faire le bien. » Et Polly d’ajouter : « Beaucoup d’entre nous travaillent déjà à 16 ans. On fait partie du système, c’est normal que l’on puisse s’exprimer. »
Pour eux, voter plus tôt présente aussi un avantage : celui de profiter de l’expérience de leurs parents. « Vivre sous le toit familial, ça permet de discuter avec eux et d’acquérir une certaine éducation politique, dit Philip. À 18 ans, on a parfois déjà quitté la maison et on se retrouve alors seul pour sa première fois dans l’isoloir. »
Scolarisés dans la capitale autrichienne et issus d’un milieu privilégié, ces jeunes Viennois sont conscients de ne pas représenter parfaitement la jeunesse du pays. « Chez nous, on discute et on débat souvent de ces sujets, poursuit Polly, mais j’ai des amis pour qui ce n’est pas le cas. » Ben, qui a le même âge qu’elle, confirme : « Dans ma classe, s’ils avaient pu voter dimanche, beaucoup d’élèves auraient donné leur voix au FPÖ [le parti d’extrême droite]. Ils se font avoir par les messages que le parti publie sur Facebook. Les réseaux sociaux sont leur seule source d’information. » Plus habile avec les nouveaux outils de communication que les partis traditionnels, le FPÖ est parvenu ces dernières années à rallier à sa cause nombre de jeunes Autrichiens. Le premier tour de l’élection présidentielle a confirmé cette tendance : parmi les votants, 51 % des hommes de moins de 29 ans ont soutenu son candidat (et 21 % des femmes).
Ben regrette que le programme scolaire ne prévoie pas plus d’heures d’éducation politique pour les préparer, lui et ses camarades, à voter. « C’est très aléatoire en fonction des écoles, explique-t-il. On a appris ce qu’était un système électoral en cours d’histoire, mais on ne nous a pas donné d’outils concrets pour devenir de vrais citoyens. »
Dans la classe de Polly, c’est l’inverse. On sensibilise les élèves, même lorsque le droit de vote ne leur est pas accordé. « Certains sont originaires d’Afghanistan, de Tchétchénie, du Monténégro, de Syrie, de Bosnie et de Chine, explique-t-elle. Alors, pour se donner une couleur politique, l’établissement a organisé de fausses élections en 2015. » Chaque élève a pu voter pour son candidat et se familiariser avec le processus électoral. Polly se souvient du résultat : le Parti socialiste et les écologistes l’avaient emporté. Membre des Faucons rouges, une organisation de jeunesse internationale créée en 1925 et sponsorisée par le Parti socialiste, elle savoure encore cette victoire sans conséquence.
Mais en termes d’enseignement, Philip est le plus avantagé. Dans son lycée spécialisé dans l’étude du commerce, la politique est une affaire sérieuse. Elle fait l’objet d’un cours de trois heures par semaine. « Mon prof est génial. On visionne de vieilles interviews télévisées de Bruno Kreisky [chancelier fédéral autrichien entre 1970 et 1983] et on analyse la manière dont il s’exprime et se comporte. Ensuite, on les compare avec des interviews d’hommes et de femmes politiques d’aujourd’hui. »
À quelques mètres de là, dans la cuisine, Irène prépare le dîner. Elle a suivi avec attention les échanges enthousiastes entre ses deux fils et leurs amis. Elle se souvient mal du jour où elle a voté pour la première fois. À l’époque, il fallait avoir 19 ans. « Dans les années 1970, la politique c’était barbant, se souvient-elle. Il y avait deux partis importants. On était pour l’un ou pour l’autre toute sa vie. Aujourd’hui, on change de camp. Tout le monde a un avis sur tout, du chômage aux migrants. C’est devenu excitant. »
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