Réaliser un portrait des populations noires en France nécessite de surmonter plusieurs difficultés préalables, et pour certaines quasiment indépassables. Il faut tout d’abord définir ce que recouvre la catégorie de « populations noires » : s’agit-il de couleur de peau, d’une appartenance à une identité collective, d’une ascendance africaine comme l’indique la catégorie d’Afrodescendant, de plus en plus utilisée, ou plus simplement d’une origine géographique associée aux mondes noirs (Afrique, Caraïbes, océan Indien et Océanie) ? Il existe peu de sources statistiques pouvant renseigner sur ces différentes catégorisations et la position pragmatique conduit à circonscrire la population noire en France aux personnes ayant une ou des ascendances dans les régions associées aux peuplements noirs. Nous utilisons ici des données venant de plusieurs enquêtes (« Trajectoires et origines », 2008 ; « Enquête sur l’accès aux droits », 2016 ; le recensement de la population de 2016).

Que représentent les populations noires en France ?

On peut proposer une estimation des populations noires en les délimitant pragmatiquement aux personnes nées dans les DOM ou en Afrique subsaharienne et à leurs enfants nées en France métropolitaine. Il est certain que toutes les personnes ayant ces origines ne se considèrent pas nécessairement noires, ou ne sont pas vues comme telles dans leur vie sociale et, à l’inverse, des Afrodescendants ont des origines qui remontent à plus de deux générations et ne sont donc pas inclus dans cette estimation. Cependant, l’essentiel des migrations en provenance des DOM et d’Afrique subsaharienne se sont produites depuis les années 1950 pour les premières et les années 1980 pour les secondes. Même s’il y a eu une présence noire avant la Seconde Guerre mondiale en France métropolitaine, les effectifs concernés étaient relativement limités et très masculins. Cette présence a été marquante sur le plan culturel et intellectuel avec la création de revues, de journaux, de salons littéraires et l’émergence de sociabilités où des personnes venues du monde colonial se croisent et échangent tant à Paris, la « métropole coloniale », qu’en province. Dans ces lieux de loisir, sont également diffusés des messages politiques anti-impérialistes sur le racisme en France ou dans les colonies, le colonialisme ou la ségrégation aux États-Unis. À l’époque, ils sont nombreux à se désigner comme « Noirs » ou « Nègres ».

En 2016, on compte près d’un million d’immigrés d’Afrique subsaharienne (956 800 exactement) et 890 000 descendants directs d’un ou deux parents subsahariens. Les départements d’outre-mer comptent 2 133 853 habitants et 365 000 Ultramarins vivaient en métropole, ainsi que 220 051 descendants directs d’Ultramarin(s). Ainsi, ce sont près de 7 % des habitants en France (y compris Mayotte) qui pourraient être qualifiés de noirs et 4 % pour la seule France métropolitaine.

Le Défenseur des droits a réalisé en 2016 une enquête sur l’accès aux droits en France qui comporte, outre de nombreuses questions sur l’expérience des discriminations et du racisme, une catégorisation des origines des enquêtés faisant référence à la couleur de peau ou aux appartenances ethnoculturelles. Chaque enquêté était ainsi invité à dire s’il pensait être vu comme Blanc, Noir, Arabe, Asiatique, métis ou autre, s’il ne se reconnaissait dans aucune des catégories proposées, et s’il se considérait être de l’une ou plusieurs de ces catégories. Selon cette enquête, 5 % de la population de plus de 18 ans en France se considère comme noire. La distribution des catégories selon l’origine sur deux générations montre que les personnes originaires des DOM se définissent essentiellement comme noires (à 72 %), comme blanches pour 8 % d’entre elles et 20 % ne se reconnaissent pas dans ces catégories. Celles qui sont originaires d’Afrique subsaharienne sont encore moins nombreuses à se dire blanches (2 %) et se disent noires à 76 %.

Un peu plus de 30 % des secondes générations se disent également métisses, ce qui traduit une évolution de la mixité dans les couples.

À la seconde génération, les unions mixtes deviennent ainsi fréquentes selon l’enquête « Trajectoires et origines » : 63 % des descendants de Domiens et 60 % des descendants de Subsahariens ont un conjoint issu de la population majoritaire. Mais alors que ces taux de mixité des unions sont assez comparables pour les femmes et les hommes descendant de Domiens, les écarts sont très marqués pour les descendants de Subsahariens, les hommes étant nettement plus souvent en couple mixte que les femmes.

Une mobilité sociale ?

Même si elles sont socialement diversifiées, les populations noires occupent principalement des positions subalternes en France. C’est d’abord le fruit d’un héritage historique : une large part des migrations en provenance des départements d’outre-mer ont été supervisées par un organisme public, le Bumidom (1963-1981), qui orientait les migrants vers des formations peu adaptées et, partant, des emplois faiblement qualifiés. Il est à noter que l’incitation au départ opérée dans les territoires d’origine était principalement fondée sur l’argument qu’un déplacement vers la « métropole » permettrait de trouver un emploi et de faire l’expérience d’une vraie ascension sociale. Pour beaucoup, dans les années 1960 et 1970, il s’agissait d’obtenir un poste dans la petite fonction publique, un marqueur important de la réussite sociale dans les sociétés d’origine.

Ces personnes ont connu par la suite une progression relativement faible au cours de leur carrière, de telle sorte qu’en 2008 seuls 10 % des natifs des DOM sont cadres (14 % des hommes et 6 % des femmes) et 64 % sont ouvriers ou employés (les femmes sont essentiellement employées et les hommes principalement ouvriers). Cet héritage pèse encore à la génération suivante puisque seuls 9 % des descendants de Domiens nés en métropole sont devenus cadres, tandis que 56 % sont toujours employés ou ouvriers. La reproduction sociale intergénérationnelle est également marquée pour les originaires d’Afrique subsaharienne, dont beaucoup ont occupé des emplois peu qualifiés à leur arrivée en France dans les années 1980 et 1990. Si les immigrés sont à 75 % employés ou ouvriers, c’est encore le cas pour 57,5 % de leurs descendants nés en France. La mobilité professionnelle se traduit principalement dans leur cas par un accès aux professions intermédiaires.

On constate de fait un écart entre l’élévation des diplômes chez les secondes générations et les emplois occupés. Il y a une réduction des sorties précoces sans diplôme (38 % des immigrés subsahariens et 13,7 % des descendants ; 34 % des migrants des DOM et 16 % des descendants) et un accès plus fréquent aux études supérieures, en particulier pour les femmes. Il faut également compter avec une importante immigration liée à la poursuite d’études supérieures chez les personnes originaires d’Afrique centrale – ce qui contredit l’image de migrants africains peu éduqués. Cependant ces diplômes ne donnent pas accès dans les mêmes conditions aux emplois correspondant sur le marché du travail, et ce déclassement fréquent est l’une des marques des discriminations systémiques que subissent les populations noires en France.

Discrimination et racisme : quelle identité ?

Les mobilisations contre les violences policières racistes qui ont suivi la mort de George Floyd aux États-Unis ont rappelé la longue liste de personnes noires ou arabes mortes des suites d’un contrôle policier en France. Dans l’enquête du Défenseur des droits, 44 % des personnes se déclarant noires disent ainsi avoir été exposées à des situations racistes au cours des cinq dernières années. Ce racisme se manifeste aussi bien dans la vie quotidienne que dans les rapports avec les institutions, dans l’accès à l’emploi, au logement, à la santé ou à l’école. Cela se traduit en définitive dans des discriminations qui font obstacle à la mobilité sociale et à la participation à la société. Là encore les personnes se disant noires ou arabes apparaissent les plus exposées, déclarant à 55 % et 57 % avoir connu une discrimination dans les cinq dernières années. Ceux qui sont originaires des DOM en déclarent un peu plus que ceux qui sont originaires d’Afrique subsaharienne et les secondes générations plus encore que les migrants eux-mêmes.

Les enquêtes qualitatives concernant les populations noires de France ou présentent en France portent sur une grande diversité d’enjeux sociaux et politiques. La plupart d’entre elles font clairement apparaître l’expérience de la stigmatisation et du racisme, aussi bien dans l’enfance qu’à l’âge adulte, dans les milieux professionnels, familiaux et amicaux. Ces discriminations contribuent à la politisation de l’identité et sont rapportées sur un mode euphémisé. Elles font en tout cas partie de l’expérience commune de ces populations et construisent, en creux ou de façon plus affirmée, la conscience de ne jouir que d’une citoyenneté dégradée. 

 

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