Philippe Meyer propose ici des extraits de chansons et de poèmes sur la tour Eiffel.

Le lendemain de mon mariage Daniel m’fit la proposition d’aller faire un petit voyage à Paris pour mon instruction. Au Champ-de-Mars nous arrivâmes ; en passant sur le pont d’Iéna, il me dit : « Regarde, ma femme, un monument qui t’étonn’ra. » C’était une tour magnifique, en fer se dressant vers le ciel, et je m’écriai : « C’est magique ! Ah Daniel mon cher Daniel, ah Daniel mon cher Daniel, que c’est donc beau, que c’est donc beau la tour Eiffel ! »[…] Enfin, fatigués, nous rentrâmes à notre hôtel Continental. Daniel voulait tout feu tout flamme user de son droit conjugal. Il avait soufflé la bougie et me disait, très allumé : « Je sens ce soir, oh ma chérie que je n’t’ai jamais tant aimée ! » Pourtant je dis dans la nuit noire : « Ah Daniel mon cher Daniel… oh mais Daniel mon cher Daniel… ça ne vaut pas, ça ne vaut pas la tour Eiffel ! »

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Le bon Dieu, les saints et les saintes regardent par les trous du ciel l’instrument que monsieur Eiffel vient de dresser dans nos enceintes. Ils discutent. Le Dieu des dieux, qui, vu son âge, est un peu myope, prononce : « C’est un télescope. » Jésus dit : « Papa devient vieux ! » […] Alors la Vierge qui sourit dit à son tour, et toute rose : « C’est un mystère, quelque chose dans le genre du Saint-Esprit ! »

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Il faut dire que beaucoup de Parisiens ne connaissent la Tour que par leurs p’tits cousins, ou alors par le vieil oncle à héritage qu’est monté à pied jusqu’au troisième étage. Ah ! dit-il, c’est beau, c’est merveilleux, Madame, quand on est là-haut, on peut voir tout Paname et le Parisien se dit : « Tiens, tiens, tiens, j’irai la voir demain. »

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Guitare du ciel ta télégraphie sans fil attire les mots comme un rosier les abeilles. Tour Eiffel, volière du monde chante, chante souvenirs de Paris. Le géant tendu au milieu du vide est l’affiche de France. Le jour de la victoire, tu la raconteras aux étoiles.

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Elle est vieille et réparée comme un bateau de son âge. Elle a l’âge où l’on aime sentir grimper sur soi des enfants et des Américaines. Elle a l’âge où le cœur aime se munir de T.S.F. et de concerts à son sommet. Tout ce que j’aime dans les transatlantiques, je l’y retrouve. On nous change à chaque instant d’ascenseur pour dérouter je ne sais quelle poursuite, et certains voyageurs, débarrassés de leurs noms et prénoms dès le second étage, errent au troisième les yeux vagues, à la recherche d’un pseudonyme ou d’un parrain idéal.

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J’ai touché l’absurde prodige, constaté le miracle vain. J’ai gravi, domptant le vertige, la vis des escaliers sans fin. Du vaste monde, en cet abîme, je n’aperçois qu’un petit coin. Pourquoi monter de cime en cime ? Le ciel est toujours aussi loin. Enfants des orgueilleuses Gaules, pourquoi recommencer Babel ? Le mont Blanc hausse les épaules en songeant à la tour Eiffel.

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Quel sang dans tes veines circule pour t’écrier, avec mépris, que je suis un mât ridicule sur le navire de Paris. Un mât ? J’accepte l’épithète, mais un mât fier, audacieux, qui saura, portant haut la tête, parler de progrès jusqu’aux cieux. Un mât qui sur la ville immense, la nuit projettera des feux. 

 

Avec le concours de Richard O’Monroy chanté par Yvette Guilbert, Xanrof chanté par Catherine Sauvage, François Llenas chanté par Mistinguett, Vicente Huidobro, Jean Giraudoux, François Coppée et Raoul Bonnery.

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