Restaurer la tour Eiffel, c’est un peu comme maquiller une éléphante en plein numéro de cirque, au milieu du public : exercice à la fois loufoque et compliqué. Bien sûr, dans le cas de la tour, ça sert à quelque chose car elle aura 130 ans l’an prochain, la chère grande bringue. Et il faut qu’elle soit à son summum de beauté et de sécurité en 2024 pour les Jeux olympiques. Les travaux avancent tambour battant, nonobstant une somme de contraintes ahurissante qu’énumère Laurence Mithouard, responsable de l’aménagement à la Société d’exploitation de la tour Eiffel (SETE).

La première difficulté qui surprend chez pareille géante, c’est l’exiguïté des locaux. L’espace manque pour stocker les matériaux, ranger les engins, accueillir les ouvriers. Pour déconstruire et reconstruire les pavillons défraîchis du premier étage, pour remplacer le sol métallique par un plancher de verre qui donne la sensation de marcher dans le vide, il a fallu installer une plateforme mobile dans la trémie (le trou central), gruter de nuit les panneaux trop grands pour l’ascenseur. Et pas question de fermer le site : jusqu’à 5 000 personnes arpentent la tour en même temps, 15 heures par jour, 365  jours par an.

Plus ésotérique, la contrainte bilan-poids, en jargon d’architecte. Il est exclu d’ajouter du poids à la tour, si bien que tout ce qu’on retire est pesé et tout ce qu’on apporte aussi, de sorte que le bilan soit neutre. La peinture, quand on y réfléchit, a un poids. Avec les 19 campagnes de ripolinage qui se sont succédé depuis l’origine, à plusieurs couches chacune, il a bien fallu se décider à décaper. Mais comment ? Il faut soit gratter, soit dissoudre la peinture. Le dissolvant, on oublie, trop polluant. Alors, décaper au sable projeté à haute pression ? Impossible, le sable gripperait les mécanismes des ascenseurs – comme le sel qui corrode, interdit même en cas de gel. On décape donc à la grenaille métallique, sachant que les couches de peinture sont amincies du côté des vents dominants, plus épaisses ailleurs. Tenir compte aussi du fait que les peintures longtemps utilisées pour protéger l’acier de la tour contenaient du plomb : interdiction de projeter des particules de plomb toxiques sur les visiteurs, les agents, les riverains ; il faut confiner et recycler les déchets. Et tout repeindre, à la main, dans l’une des trois nuances acceptées de « brun tour Eiffel ». Cela prend deux ans.

D’ici 2024, l’ascenseur nord va être refait, le mécanisme de scintillement rénové. Mais la vraie nouveauté sera visible dès cet été. Elle consiste en une immense clôture qui va sécuriser la tour Eiffel, bien au-delà des quatre piliers. Tant qu’à protéger le site, autant l’embellir : la Ville de Paris a organisé un concours, remporté par l’architecte autrichien Dietmar Feichtinger et son agence parisienne. Côté Seine et côté Champ-de-Mars, une muraille de verre extra-clair d’une épaisseur de 6,5 centimètres – contre les balles – laissera voir en transparence le parvis et au-delà. Sur les côtés, en ovale, une grille dont les barreaux d’acier reprennent la forme élancée de la tour, sur une hauteur de 3,24 mètres (un hommage à ses 324 mètres de hauteur). 115 caméras de surveillance et 425 bornes anti-bélier compléteront l’aspect bunker. Mais les visiteurs entreront désormais par les jardins, élargis et repaysagés. La végétation ouvrira des points de vue surprises sur le monument. L’accès aux jardins et au parvis, deux hectares en tout, restera gratuit. Nuque renversée, bouche ouverte, chacun pourra admirer la Dame remise en beauté. 

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