Depuis son inauguration pour l’Exposition universelle de 1889, la tour Eiffel, devenue le symbole de la capitale française, fascine les beaux esprits. Les esprits retors aussi… Né un an après sa construction, en Autriche-Hongrie, Victor Lustig est un escroc issu de la bourgeoisie. Si son patronyme signifie amusant en allemand, l’adjectif qui illustre au mieux son talent est inventif. Il parle cinq langues dont le français, sans accent. Fin psychologue, il excelle dans l’art de dénicher les failles de ses victimes. Son credo ? « La proie doit se présenter d’elle-même, avec le désir de courir un risque. »

Après avoir sévi cinq ans aux États-Unis, il arrive à Paris au printemps 1925, flanqué de Dan Collins, un Franco-Américain à la gueule d’ange et dénué de morale. Les compères s’installent dans une suite de l’hôtel Crillon et s’en vont flâner sur les Champs-Élysées, nez au vent.

Le Paris de 1925, c’est celui des Années folles. La ville ressemble à un pot de miel, elle attire la fête, l’amour… et les idées loufoques. Lustig n’a pas de plan précis, il attend l’inspiration. Il la trouve à une terrasse de café, en lisant un article sur la possible démolition de la tour Eiffel. À l’époque, l’avenir du monument est incertain et son existence, programmée pour vingt ans, menacée par la rouille et par ses détracteurs. « Le déshonneur de Paris », « une odieuse colonne de tôle boulonnée », voilà comment certains la qualifient. Et Gustave Eiffel, son génial créateur, n’est plus là pour la défendre. L’objectif de Victor Lustig est simple : trouver un pigeon, et lui vendre la tour Eiffel ! Dubitatif, Collins tente de le dissuader, en vain. « Plus c’est gros, mon cher, mieux ça passe ! »

Lustig envoie à cinq ferrailleurs de la capitale un courrier officiel, rédigé sur un faux papier à en-tête de la ville de Paris. Se présentant comme un haut fonctionnaire mandaté par l’État français, il les invite à venir discuter d’un contrat important, en toute discrétion. Il leur donne rendez-vous courant avril 1925, dans sa suite du Crillon.

Le jour J, les cinq hommes sont accueillis par Collins, promu secrétaire particulier de Lustig. Celui-ci leur annonce que la tour Eiffel, devenue un gouffre financier, doit être démolie. Les consignes émanent du président Paul Doumergue en personne. La tour est à vendre, au plus offrant. Plus étonnés qu’incrédules, les ferrailleurs n’ont guère le temps de réagir, l’escroc enchaîne, fieffé flatteur. La France ne les a pas choisis par hasard ! Leur réputation de probité et de sérieux n’est plus à faire. L’heureux élu récupérera la bagatelle de sept mille trois cents tonnes de ferraille, et rendra un fier service à la Ville de Paris. Puis Lustig, prétextant un rendez-vous au ministère, coupe court. Il attend leurs offres au Crillon d’ici à huit jours, sous pli scellé.

Reste aux deux complices à patienter, jusqu’à ce que leur proie se manifeste. Victor Lustig l’a repérée parmi les ferrailleurs, en la personne d’André Poisson. Issu d’un milieu modeste, l’homme a gagné sa place au soleil à force de travail. Mais on le sent méprisé par les riches de souche. Pour lui, l’achat de la tour Eiffel représente l’occasion rêvée d’intégrer leur cercle.

Les cinq industriels envoient leur proposition, Collins informe aussitôt Poisson que son offre est retenue. Le gagnant frétille, impatient de signer le contrat, mais sa femme a des soupçons. Ce haut fonctionnaire d’État est-il celui qu’il prétend être ? À son tour le mari doute, et demande un délai de réflexion.

Lustig le convoque séance tenante au Crillon, en tête-à-tête. Feignant la gêne, il lui demande un pot-de-vin en espèces. André Poisson éclate de rire, convaincu désormais d’être face à un fonctionnaire authentique, puisque malhonnête ! Ravi, le ferrailleur se déleste d’une commission en liquide et du chèque pour la tour Eiffel. Il vient de conclure l’affaire du siècle !

On ne connaît ni le montant du chèque ni celui de la commission. On les imagine… généreux. Sitôt sa victime partie, Lustig encaisse le chèque puis rejoint Collins gare de l’Est. Direction l’Autriche, où ils séjournent un temps dans un palace de Vienne.

Curieusement, la presse française ne dit mot de leur fabuleuse escroquerie. Lustig n’est pas surpris. Poisson a découvert la vérité, certes, mais en bonne victime il a honte. Peur de devenir la risée de tous. Il préfère rester muet comme une carpe.

Grisés par l’impunité et le succès, les deux hommes regagnent Paris pour réitérer leur exploit. Leur nouveau pigeon, moins crédule, avertit les autorités et ils sont contraints de fuir aux États-Unis, bredouilles. Victor Lustig poursuit en solo sa brillante carrière, avant d’être incarcéré, en 1935, au pénitencier d’Alcatraz. À sa mort en 1947, il entre à jamais dans la légende comme l’homme qui a vendu la tour Eiffel… 

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