En juillet dernier, le Brésil a mis sur la table du G20 qu’il présidait la proposition d’une taxe sur les milliardaires au niveau mondial d’un minimum de 2 % de leur fortune. Cette avancée a été rendue possible par des études issues du monde académique et des mobilisations de la société civile, qui ont démontré une énorme injustice fiscale entre les ultrariches et le reste de la population. On sait désormais que les plus fortunés ont un taux d’imposition effectif extrêmement faible en proportion de leurs revenus et de leur patrimoine, bien inférieur à celui acquitté par les classes moyennes et populaires partout dans le monde. Pour la France, la note de l’Institut des politiques publiques (2023) montre des résultats similaires à ce que l’on observe ailleurs dans le monde : le taux effectif d’impôt sur le revenu des milliardaires est inférieur à 2 % de ce que l’on appelle le revenu économique (celui sur lequel ils ont un contrôle effectif). C’est extrêmement faible, notamment au regard du taux supérieur de l’impôt sur les revenus du travail, qui est de 45 %.

« Cette proposition est modérée et pose le principe de plus de justice fiscale »

Pour mesurer l’impôt global acquitté par les très riches, il faut aussi prendre en compte celui payé par les multinationales, possédées par les milliardaires. Or l’impôt sur les sociétés (IS) a été considérablement affaibli depuis les années 1980 à travers les pratiques d’évasion fiscale comme à travers la baisse du taux d’IS, divisé par deux en moyenne en Europe et aux États-Unis. Si on fait le bilan, les milliardaires payent un total d’impôts et de prélèvements obligatoires correspondant au mieux à 25 % de leurs revenus, à peu près comme aux États-Unis ou aux Pays-Bas. Il faut rappeler qu’en France, les classes moyennes et populaires s’acquittent de l’ordre de 45 à 50 % de l’ensemble de leurs revenus en impôts et cotisations. On est donc face à une injustice fiscale caractérisée.

Dans ce contexte, le président brésilien Lula ainsi que d’autres chefs d’État ont estimé que : « La soutenabilité de nos modèles fiscaux n’est plus garantie, il faut agir. » Ils ont commandité un plan, établi par l’économiste Gabriel Zucman, avec des mesures précises pour taxer les plus riches : il présente différentes options, dont les États peuvent se saisir ou non puisqu’ils demeurent souverains en matière de fiscalité. La philosophie du rapport est de proposer un taux d’imposition pour les milliardaires de 2 % minimum de leur patrimoine.

« Il convient de ne pas relâcher la pression sur les États »

Pourquoi se référer au patrimoine plutôt qu’aux revenus ? Car les milliardaires jouent de la définition fiscale du revenu pour payer le moins d’impôt possible en disant « ce sont les revenus de ma société, pas les miens » et se versent quasiment zéro revenu pour, en fin de compte, payer près de zéro impôt sur le revenu et parfois également zéro impôt sur les sociétés. Les milliardaires n’ont pas besoin de se verser des milliards sur leurs comptes bancaires chaque année. Une grande partie de leur consommation se fait par le biais de leur entreprise – les voyages en jet, par exemple. Les administrations fiscales ont donc beaucoup de mal à mesurer ces revenus, ce qui contribue à l’injustice fiscale actuelle. La proposition nouvelle consiste à dire : intéressons-nous au patrimoine, puisqu’il est plus facile à mesurer, et discutons d’un standard minimum d’impôt en fonction de ce patrimoine. Rappelons ici que l’essentiel de la fortune d’un milliardaire est constitué d’actions ou de parts de multinationales et de holdings.

Cette proposition n’a rien de radical. En effet, le taux d’impôt minimum de 2 % est très faible quand on le rapporte à la croissance du patrimoine des milliardaires, qui est de 8 à 10 % par an en moyenne en France depuis une quinzaine d’années. La fortune des milliardaires continuerait donc à croître, mais un peu moins vite qu’avant. La proposition a donc le mérite de poser le principe de plus de justice fiscale et d’acter enfin le fait que le taux actuel d’imposition des milliardaires est trop bas et doit être augmenté. Libre ensuite aux pays d’aller plus loin que les 2 %.

Au niveau mondial, cet impôt minimum concernerait environ 3 000 individus, et en France environ 150 personnes – les 0,0002 % les plus riches possédant plus d’un milliard d’euros ou de dollars de patrimoine. Un taux minimum de 2 % pourrait représenter des recettes d’un montant de 20 milliards d’euros par an pour l’Hexagone, ce qui est loin d’être négligeable.

Il y a aussi eu des échanges sur la redistribution des recettes afin de lutter contre l’extrême pauvreté ou pour le climat. C’est une autre partie de la discussion, qui est encore plus compliquée car elle demande un niveau bien plus avancé de coopération internationale. Mais je suis convaincu qu’il faudra rapidement y revenir, tant les besoins de financement de l’adaptation au changement climatique sont énormes.

Pour finir, il y a un autre volet de la discussion sur la fiscalité des milliardaires à avoir en tête, celui qui est débattu à l’ONU. Le 16 août dernier, son Assemblée générale a voté en faveur de l’instauration d’une convention fiscale internationale pour harmoniser la fiscalité mondiale, et notamment celle des multinationales et des individus.

Ces initiatives au G20 et à l’ONU montrent que les gouvernements se rendent enfin compte que la manière dont a été organisée la globalisation est insoutenable d’un point de vue fiscal et, in fine, démocratique. On a libéralisé les capitaux sans mettre en place de garde-fous basiques, c’est-à-dire des impôts progressifs qui permettent de redistribuer une partie de l’immense richesse que cette libéralisation a générée pour quelques-uns. Nous sommes enfin entrés dans ce moment de la mondialisation où l’on constate qu’il faut apporter des réponses à ces déséquilibres majeurs. Il faut désormais accélérer et amplifier ces initiatives pour les faire atterrir. Surtout, il convient de ne pas relâcher la pression sur les États, car en matière fiscale, les détails de mise en œuvre importent autant que les grands principes. 

 

Conversation avec C.A.

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