La fabrique des séries
Longtemps dénigrées, taxées de ringardise, les séries françaises prennent un nouvel élan. De l’idée originale à la diffusion, comment fabrique-t-on un succès ? Visite guidée dans les coulisses des séries qui nous rendent accros, par ceux qui les écrivent, les produisent, les réalisent et les incarnent.Temps de lecture : 24 minutes
1. L’impulsion
Elles arrivent en flux tendu, intarissable. Au fil des mois, les propositions de séries s’entassent sur le bureau d’Emmanuel Meledo. En tant que directeur littéraire de la société de production Elephant Story, son rôle consiste à évaluer les propositions de scénaristes. « Je lis en permanence – en moyenne sept scénarios par semaine –, je sélectionne, je fais des notes d’analyse, et on en parle entre nous », explique-t-il. Parmi les idées passables, déjà vues ou trop farfelues, il cherche la pépite. Comme l’affirme Fanny Herrero, scénariste en chef de la série Dix pour cent : « Une bonne série, c’est comme un bon roman. Il faut qu’elle ouvre une fenêtre sur une vision singulière du monde, une vision qui va surprendre, émouvoir. » Sur les 130 projets étudiés par Emmanuel Meledo ces six derniers mois, seuls trois ont fait l’objet d’une option. En fonction du prestige du créateur et du budget potentiel de la série, l’option varie de quelques centaines d’euros, à plusieurs dizaines de milliers, la moyenne s’élevant plutôt à un millier d’euros. « On obtient alors l’exclusivité pendant un an, un an et demi, pour présenter le projet aux diffuseurs et les convaincre de l’acheter », précise-t-il.
2. Le financement
Car sans les diffuseurs, point de série ! Grâce à leur apport financier, les chaînes et les plateformes en ligne comme Netflix ou Amazon Prime Video mettent sur la table la majeure partie du budget de production. « Nous finançons nos séries à hauteur d’au moins 70 %, explique Fabrice de la Patellière, directeur de la fiction chez Canal +. C’est pourquoi nous tenons à accompagner les projets très en amont. » Pour les quelque 30 % restants, c’est au producteur de les réunir en déposant des demandes de subvention auprès du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), des régions et de divers donateurs, dont les noms défileront au générique.
La recherche de financement, qui se chiffre en millions, peut parfois pousser les producteurs à traverser les frontières. Pour Deutsch-les-Landes – une comédie qui met en scène un village landais en faillite cédant une partie de son territoire à de riches Allemands –, la productrice Sandra Ouaiss a obtenu d’Amazon qu’elle assure la diffusion en France, et convaincu une société de production allemande de s’embarquer dans l’aventure. « Ils m’ont proposé de développer la série ensemble et de partager les frais et les bénéfices éventuels », raconte celle qui a piloté la série pour la société de production Newen. Outre-Rhin, c’est Deutsche Telekom qui a acheté la série. À elles deux, les plateformes de diffusion ont apporté 85 % de l’enveloppe, les 15 % restants provenant d’un crédit d’impôt accordé dans le cas de coproductions internationales.
Mais ce schéma de financement à la française, qui repose sur les diffuseurs et les aides publiques, risque l’asphyxie au vu de l’inflation du prix des séries. « Un épisode de Dix pour cent atteint un million d’euros, soit le prix d’un film à petit budget. Cela devient très courant », décrit l’économiste Pierre-Jean Benghozi, spécialiste des industries culturelles et codirecteur de l’ouvrage Télévision, l’ère du numérique (Documentation française, 2011). Chez Canal +, Fabrice de la Patellière s’inquiète : « Il y a une prime au succès compréhensible : lorsqu’une série est reconduite, l’équipe négocie une augmentation. Mais aujourd’hui, les diffuseurs et les aides publiques arrivent un peu au maximum de ce qu’ils peuvent payer. » D’où l’importance de tenir fermement les cordons de la bourse lors du tournage. « C’est l’un des secrets de la longévité d’une série », révèle Daniel Dubois, le producteur d’Engrenages, dont la huitième saison est en écriture pour un coût de fabrication de 1,3 million d’euros par épisode.
Si le succès est au rendez-vous, le diffuseur s’y retrouve : une chaîne gratuite empoche les recettes publicitaires, tandis qu’une plateforme ou une chaîne payante recrute de nouveaux abonnés. Mais le véritable jackpot revient au producteur, lorsque la série se vend bien à l’international – comme Engrenages, qui a conquis 70 pays au total.
Avec l’arrivée de Netflix ou d’Amazon Prime Video et l’envolée des budgets, le modèle va sans doute évoluer. Chez Canal +, par exemple, la stratégie à l’avenir va consister à partager les frais avec des coproducteurs étrangers. Et à favoriser des séries à plus petit budget.
3. La figure du Showrunner
Terme importé des États-Unis, comme il en regorge dans le monde des séries, showrunner signifie « directeur de programme ». Garant de l’ADN d’une série, le showrunner est la figure emblématique de ce nouvel eldorado. Sa fonction consiste à piloter toute la fabrication, de l’écriture du scénario jusqu’à la postproduction. Pour Fanny Herrero, showrunner de Dix pour cent, cette fonction s’apparente à celle d’un chef d’orchestre : « On assure une cohérence d’ensemble au service d’une vision d’auteur. » Et dans les séries originales et non formatées, c’est justement cette vision qui prime. Voilà pourquoi l’auteur y est roi, contrairement au cinéma, où le r&ea
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