De l’Âge d’or à l’académisme
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Longtemps, on a aimé répéter en France que les meilleurs étudiants de Harvard ne finissaient ni à la Maison Blanche ni dans la Silicon Valley, mais à Hollywood, comme scénaristes des Simpson. Puis on a découvert qu’on avait la même série préférée qu’Obama : The Wire. On a enfin appris, la boucle était bouclée, que les conseillers rapprochés de Macron avaient tous vu The West Wing : les séries américaines de l’âge d’or nous avaient ainsi servi de récits de formation et leur puissance rastignacienne avait emmené ceux qui les avaient le mieux vues jusqu’au sommet du monde. Voilà pour le récit officiel de l’âge d’or des séries, qui explique d’ailleurs aussi bien les plus belles épopées démocratiques que l’apothéose de Trump – Trump comme un personnage sorti du Harvard Lampoon, le journal satirique des étudiants de Harvard, Trump comme une contrepartie de Mr. Burns. Et c’est peut-être ça, aussi, l’univers des séries : un spectacle de fin d’année qui aurait trop bien tourné, qui aurait été pris anormalement au sérieux.
L’âge d’or des séries, je l’ai bien documenté, j’ai senti la montée en puissance avec Urgences, puis il y a eu 24, Les Soprano, Six Feet Under, Lost et The Wire. La chose s’est encore accélérée et on est, vingt ans plus tard, à presque une série géniale par semaine – c’est évidemment trop. À quel moment est-on passé de l’âge d’or à l’académisme ? Je me souviens exactement quand j’ai décroché : à la saison 2 de Breaking Bad, quand la tête d’un narco avançait lentement, dans une lumière anormalement jaune, sur une tortue dans le désert. Il fallait prendre une décision très vite : nouveau coup de génie ou pénible maniérisme ? J’ai choisi maniérisme et je n’ai presque plus vu aucune série depuis – c’était il y a presque dix ans. J’ai en revanche beaucoup repensé à l’âge d’or, de l’air grave du Jules II de Raphaël méditant d’un air doux sur le fabuleux héritage pictural que sa génération laissait au monde.
Hélas, les seules images qui me restaient de tout cela enjambaient anormalement l’âge d’or. Je m’attendais à revoir McNulty et Jack Bauer et je suis retombé sur Screech, le nerd grotesque de Sauvés par le gong : il était habillé en arbre, et secouait ses branches de façon gênante sur un décor plus pastel que celui d’un tableau primitif. Mes plus vieux souvenirs de Shakespeare sont ainsi liés à la représentation du Songe d’une nuit d’été dans une sitcom adolescente. Je revois aussi des plans inavouables filmés en contre-plongée depuis la cuvette en inox des toilettes d’une prison.
L’âge d’or des séries existe, mais il est plus ancien et plus ramassé qu’on ne pense : il date de 1997 et de la série Oz. Il s’agissait, strictement, d’une sitcom en milieu carcéral. D’une utopie WASP brutalement jetée en cellule, comme ce personnage de bon père de famille avec qui on rentrait la première fois dans le pénitencier expérimental ultraviolent.
Les deux choses qui m’ont le plus marqué dans Oz sont des réminiscences shakespeariennes directes : il y avait ce personnage qui refusait sa libération car il était mieux ici, dans ce théâtre qui se reconnaissait tel, que dans le monde indifférent des hommes. Et il y avait ce narrateur génial, en fauteuil roulant, qui tournait dans un cube de verre au début de chaque épisode, et qui proclamait l’irréalité du spectacle en en fondant paradoxalement le classicisme inimitable. L’Amérique avait brutalement cessé d’exister, à Oz, mais le spectacle lui avait survécu.
« Les auteurs des grandes séries ont un lien très intime avec leur sujet »
Harold Valentin
D’où vient l’engouement pour les séries ?
On peut remonter à la fin des années 1960 avec ces grandes séries qui ont passionné les Français, comme Janique aimée
[Chips]
On s’attache. Oui, on s’attache terriblement aux personnages d’une série, surtout à partir du 400e épisode. À force de les fréquenter, de les retrouver d’une saison à l’autre, de découvrir leurs to…
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