Il y a quelques mois, une rumeur circulait sur les grands sites d’information : la plate­forme Netflix se serait inquiétée pour l’un de ses abonnés, après que ce dernier avait avalé 188 épisodes de la série comique The Office en une semaine, soit dix heures par jour en moyenne collé devant l’écran. L’histoire a depuis été démentie par le géant américain, mais le fait qu’on ait pu la croire vient rappeler à quel point les séries – auxquelles on n’accolera plus nécessairement l’adjectif « télé­visées » – ont envahi notre quotidien, des transports au petit matin jusqu’à la chambre à coucher le soir. Et gare à vous si vous avez raté telle saison de Game of Thrones, ou tel épisode de Black Mirror, vous risquez d’être tenu à l’écart lors du prochain dîner de famille ! Car à l’heure des « bulles culturelles » et de l’éparpillement des goûts, les séries semblent parfois les seules à savoir encore rassembler des publics très divers sous une même bannière. 

Pourquoi un tel succès, tant populaire que critique ? Comment, en moins de vingt ans, ces séries autrefois moquées se sont-elles affirmées comme un art majeur, taillant de larges croupières à la littérature et au cinéma ? Sans doute parce qu’elles en disent long sur notre temps, plus long peut-être qu’aucun autre mode d’expression culturel. Au roman, les séries ont su emprunter la veine feuilletonesque, portée par des personnages denses et complexes ; au grand écran, une maîtrise de la réalisation, servie par des moyens financiers toujours plus importants ; à la télévision, une capacité à capturer les enjeux du quotidien, à s’inscrire dans l’actualité et l’ordinaire de nos vies. Si les séries séduisent tant, c’est parce qu’elles nous offrent le miroir grossissant d’un monde dont on souhaite désormais tout savoir. Parce qu’elles permettent, aussi, d’en embrasser les transformations, d’en appréhender les failles, les fêlures, les ressorts cachés.

La France n’est pas en reste dans ce grand mouvement culturel mondial. Longtemps reléguées dans l’ombre des productions américaines, mais aussi danoises (Borgen), suédoises (Real Humans), australiennes (Top of the Lake) ou israéliennes (Hatufim), les séries hexagonales aujourd’hui relèvent la tête, portées par le succès de Dix pour cent, du Bureau des légendes, d’Engrenages ou encore d’Hippocrate. Dans ce numéro du 1, nous revenons justement sur les secrets de fabrication de ces œuvres, histoire de mieux comprendre leur pouvoir d’attraction, mais aussi leurs logiques économiques et culturelles. Car cette révolution ne concerne pas que le public : auteurs, producteurs, diffuseurs, tous sont aujourd’hui touchés par ce règne d’un nouveau genre, qui sublime en même temps qu’il menace notre bonne vieille télévision. C’est peut-être cela, aussi, la loi des séries. 

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