Il était une fois un vulkanizer à Blazuj, un village serbe en territoire serbe sur la route de Sarajevo à Hadzici. Je l’ai découvert un jour de mai 1992, après déjà six semaines de guerre. Du matin au soir il réparait, rechapait, resculptait les pneus des bagnoles, camions et tracteurs de toute la région. En même temps qu’il racontait des histoires, de pneus que tous croyaient morts et qu’il avait ramenés à la vie, avec les mains, parce qu’il était muet. 

Depuis le premier jour de la guerre, les gens l’appelaient Ivan, bien qu’il se nommait Ismir. Lui s’en fichait parce qu’il était sourd. Beaucoup le traitaient d’idiot du village, sans doute parce qu’il souriait tout le temps, d’autres le disaient fantastique, et ils avaient raison. 

Boutiques closes, écoles abandonnées, champs ­délaissés, plus personne ne travaillait à Blazuj à cause des combats, sauf les cafés aux terrasses desquelles, militaires, miliciens, jeunes et vieux commentaient bières après bières les dernières péripéties. Derrière l’église, l’atelier d’Ivan jouxtait le petit café de Miriana, la seule personne qui lui témoignait de l’affection, avec des coca et des baisers mouillés.

Quelques mois plus tard, je suis repassé avec un lot de chambres à air neuves rapportées pour lui de Paris. Un cadenas fermait le rideau de fer de l’atelier. Ni Miriana, flétrie sur son bar comme une rose sans eau, ni personne ­n’accepta de raconter comment on avait purifié Blazuj d’Ivan le Fantastique, mon ami vulkanizer au visage d’archange noirci par la gomme des pneus. 

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