On peut parler de la bonne santé mentale de Van Gogh qui, dans toute sa vie, ne s’est fait cuire qu’une main et n’a pas fait plus, pour le reste, que de se trancher une fois l’oreille gauche,

dans un monde où on mange chaque jour du vagin cuit à la sauce verte ou du sexe de nouveau-né flagellé et mis en rage,

tel que cueilli à la sortie du sexe maternel.

Et ceci n’est pas une image, mais un fait abondamment et quotidiennement répété et cultivé à travers toute la terre.

Et c’est ainsi, si délirante que puisse paraître cette affirmation, que la vie présente se maintient dans sa vieille atmosphère de stupre, d’anarchie, de désordre, de délire, de dérèglement, de folie chronique, d’inertie bourgeoise, d’anomalie psychique (car ce n’est pas l’homme mais le monde qui est devenu un anormal), de malhonnêteté voulue et d’insigne tartufferie, de mépris crasseux de tout ce qui montre race,

de revendication d’un ordre tout entier basé sur l’accomplissement d’une primitive injustice,

de crime organisé enfin.

Ça va mal parce que la conscience malade a un intérêt capital à cette heure à ne pas sortir de sa maladie.

C’est ainsi qu’une société tarée a inventé la psychiatrie pour se défendre des investigations de certaines lucidités supérieures dont les facultés de divination la gênaient.

Van Gogh le suicidé de la société, 1947
© Édition Gallimard

Pour vivre en société, le plus simple est de s’imaginer borné par un corps et par un esprit. Et de ne pas s’apercevoir combien chacun de nous est aussi légion. Mais il suffit à l’artiste de s’incarner sur la page, au comédien de vivre dans un geste pour pressentir une autre vérité : notre absence de limites. L’existence d’Antonin Artaud ne peut être détachée de son œuvre protéiforme, où le poète est aussi dessinateur, acteur, metteur en scène et théoricien. Interné en 1936 notamment pour des délires de persécution, Artaud est transféré à Sainte-Anne en 1938, puis à Ville-Évrard où il pâtit de l’absence de traitement et de la faim qui sévit durant l’Occupation. C’est à Rodez qu’il retrouve l’écriture littéraire, avant des séries d’électrochocs, ordonnées par le Dr Ferdière. Sorti en 1946, malgré une souffrance continue, il rédige des milliers de pages durant les deux années qui lui restent à vivre. Dont Van Gogh le suicidé de la société, en hommage à une peinture « armée de fièvre et de bonne santé ». Dès les premiers paragraphes reproduits ci-dessus, la charge violente se mêle à la bouffonnerie pour dénoncer l’impasse érotique, véritable emprisonnement narcissique. Non, l’homme courageux ne peut pas se contenter de tels fruits. En être magnétisé, qui dépasse la distinction matière/esprit, il combat ces envoûtements par le pinceau, par la plume, ou par un reniflement expert… Au risque de la démence… Dans Aliénation et magie noire, Artaud posait la question : « Quelle garantie les aliénés évidents de ce monde ont-ils d’être soignés par d’authentiques vivants ? » 

 

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