La gestion par la France de deux crises internationales majeures auxquelles le monde est confronté – la guerre ukrainienne, depuis 2022, et désormais le conflit à Gaza – suscite des interrogations. Le président a semblé jouer plusieurs partitions. En pointe dans la prise de parole, il est apparu tour à tour soucieux de maintenir le dialogue avec Moscou, puis déterminé à intégrer l’Ukraine dans l’Union européenne et l’Otan. De même, il s’est montré un soutien ferme d’Israël après l’attaque du 7 octobre, puis a été critique de la riposte de l’État hébreu lors d’une interview à la BBC (« des civils sont bombardés, ces bébés, ces femmes, ces personnes âgées sont bombardés et tués »), avant d’exprimer son désir de « clarifier » ses propos auprès du président israélien (il « n’accus[ait] pas Israël de porter atteinte intentionnellement aux civils »).

Valse-hésitation sur le fond ? Défaut de communication sur la forme ? Pragmatisme du discours face à une situation qui sur le terrain, elle aussi, évolue ? Ou tentative d’appliquer ce fameux « en même temps », cette « pensée complexe », tous deux assumés depuis longtemps par Emmanuel Macron comme étant sa marque de fabrique ? Les autres dossiers internationaux, antérieurs, apportent-ils des réponses à ces questions ?

Aujourd’hui confrontée à une séquence diplomatique difficile, la France peine à définir sa place dans les nouvelles relations internationales.

Lors de sa première élection en 2017, le jeune président avait esquissé plusieurs lignes de conduite pour son action extérieure. Elles se sont heurtées à des obstacles indépendants de sa volonté, mais aussi à des questions de méthode. Aujourd’hui confrontée à une séquence diplomatique difficile, la France peine à définir sa place dans les nouvelles relations internationales. Emmanuel Macron n’en est pas le principal responsable. Mais il n’a pas non plus réussi, pour l’heure, à trouver une issue.

 

Lignes de conduite initiales

En 2017, le candidat Macron souhaitait que la France soit une puissance indépendante, européenne et solidaire. Il assumait une posture libérale, la volonté de maintenir le dialogue avec tous les acteurs, et une défense du multilatéralisme comme méthode pour résoudre les problèmes de gouvernance mondiale. S’il est toujours facile de s’autoproclamer champion de l’indépendance nationale, il était plus courageux, juste après le Brexit, d’affirmer un credo européen. Plus encore de défendre un multilatéralisme largement attaqué dans le monde. Plus tard, ses discours sur l’Europe (à la Sorbonne, en septembre 2017) ou sur la lutte contre les inégalités (plusieurs fois aux Nations unies) allaient marquer les esprits. Restait à éviter le syndrome Obama : des discours réussis, mais sans suite concrète.

Emmanuel Macron semblait également s’inscrire dans un retour au consensus de politique étrangère dit « gaullo-mitterrandien », en fustigeant (dans Le Point du 30 août 2017) « dix ans d’importation du néoconservatisme » par ses deux prédécesseurs. On espérait enfin une remise en ordre des comptes publics, et la reconstitution d’un bloc européen soudé pour développer un agenda de politique étrangère ambitieux. Les vents internationaux en décidèrent autrement.

 

Obstacles, contretemps et maladresses

Le nouveau président arrivait d’abord à contre-courant de nos partenaires majeurs. À Washington, Donald Trump piétinait le multilatéralisme. Londres quittait l’Union et serait bientôt gouverné par l’incernable Boris Johnson. À Berlin, Angela Merkel voyait sa marge de manœuvre réduite dans une coalition difficile, après une dernière victoire électorale étriquée. En Europe orientale, la mode « illibérale » faisait rage, en particulier en Pologne et en Hongrie. Paris était bien seul. Seul et face à une contrainte budgétaire bientôt aggravée : crise des Gilets jaunes, crise sanitaire du Covid, mouvements sociaux, puis conséquences de la guerre ukrainienne.

Qui conseille le président en politique étrangère ? Comment sont organisées la réflexion et la décision ?

Le monde, surtout, échappait aux anciennes puissances. Emmanuel Macron réunit plusieurs fois les protagonistes de la guerre civile libyenne, sans succès. Il promit aux Libanais de les aider à sortir de leur impasse politique, mais ni le Hezbollah ni les grandes familles politiques locales ne l’entendaient de cette oreille. Il afficha un volontarisme pour lutter contre le terrorisme au Sahel, mais l’Afrique prenait ses distances – la Centrafrique, le Burkina, le Mali et le Niger sommant les troupes françaises de quitter leur sol… Au Maghreb, Algérie et Maroc ne se parlaient plus ; Paris ne parvint qu’à s’éloigner des deux à la fois.

Fallait-il, alors, annoncer l’impossible ? Une solution pour la Libye sans les autres Européens ? Une réforme du système politique libanais ? Le maintien de notre ambassadeur à Niamey, la capitale du Niger, malgré la junte ? Fallait-il déclarer que l’Otan était en « état de mort cérébrale » (dans l’édition du 7 novembre 2019 de The Economist) ? Agacer les partenaires européens en affichant une volonté de dialoguer avec Moscou après l’invasion de l’Ukraine, puis fâcher Moscou en diffusant ses conversations avec Vladimir Poutine dans un documentaire (Un président, l’Europe et la guerre, de Guy Lagache, diffusé en juillet 2022) ? Fallait-il rendre public le souhait (qui ne fut pas exaucé) d’être invité au sommet des Brics en 2023 ? On posa alors la question du processus décisionnel : qui conseille le président en politique étrangère ? Comment sont organisées la réflexion et la décision ? Le président est en première ligne (c’est courant sous la Ve), sa ministre des Affaires étrangères est discrète (ça l’est moins), mais encore ?

 

De quoi la politique étrangère française est-elle le nom ?

Il y a néanmoins des succès diplomatiques multilatéraux, discrets mais importants. Comme quoi le calme et la discrétion paient. Les sommets One Planet, lancés en 2017 à l’initiative de la France, de l’ONU et de la Banque mondiale, réunissent régulièrement des acteurs aux statuts variés afin de proposer des initiatives concrètes sur les questions environnementales. Depuis 2021, la France est un acteur majeur de la conférence de Bagdad pour la coopération et le partenariat, proposant un nouveau dialogue régional au Proche-Orient et créant sous ce « format Bagdad » une concertation régulière à différents niveaux. Il est possible que ces partenariats donnent à la France une puissance plus structurante que ses coups d’éclat solitaires. Peut-être parce que ces derniers, aux résultats souvent maigres, mettent surtout en évidence la fin d’un cycle : celui d’une « politique de grandeur » qui tentait de compenser la relativisation de la puissance par un verbe plus haut.

À l’heure où les puissances occidentales doivent davantage composer avec le reste du monde, la France illustre la nécessité de trouver de nouvelles combinaisons. Comme le Royaume-Uni, l’Allemagne et les autres puissances moyennes européennes, elle se demande comment rester dans l’histoire. Au Sud, malgré la francophonie et quelques atouts, la France n’est plus cette référence qui se faisait progressivement rattraper ; elle doit désormais se comporter comme un nouvel entrant sur un marché où d’autres – par exemple, la Chine ou la Turquie en Afrique – ont déjà pris l’avantage. Les schémas simples de la guerre froide ont disparu. Face à ces situations subtiles, la pensée complexe est bonne conseillère. À condition, néanmoins, qu’elle se conjugue avec des initiatives lisibles. 

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