Bamako en 2020, Conakry en 2021, Ouagadougou en 2022, Niamey et Libreville en 2023. Chaque fois, les mêmes images : une foule accueille avec enthousiasme le coup d’État mené par des hommes en treillis. Partout, un même élan pousse des milliers de citoyens à saluer l’avènement d’un régime militaire.

Un point commun semble les réunir : l’exaspération. Et la colère, aussi, estime Ali Idrissa, qui milite au Niger dans le collectif Tournons la page, qui promeut l’alternance démocratique dans une dizaine de pays africains. « Ce n’est pas que les gens ne croient plus à la démocratie, insiste-t-il. C’est juste qu’ils ne font plus confiance aux hommes politiques et au “système” qu’ils ont mis en œuvre. » Dès lors, même s’ils ont en général pleinement participé à ce « système », les militaires apparaissent comme un moyen de tout remettre à plat. Au Niger, au Mali ou au Burkina Faso, des défenseurs de la démocratie ont salué les putschs ! D’autres les ont condamnés, pour la forme, tout en ajoutant qu’ils étaient le seul moyen de « purger » le système.

Pour beaucoup, la démocratie est synonyme de corruption, d’élections faussées et, surtout, de développement économique capté par une petite élite. 

Les griefs contre le système démocratique tel qu’il a été façonné au long des dernières décennies sur le continent sont nombreux. Pour beaucoup, la démocratie est synonyme de corruption, d’élections faussées et, surtout, de développement économique capté par une petite élite. Victimes des putschs, Ibrahim Boubacar Keïta au Mali, Mohamed Bazoum au Niger (et avant lui Mahamadou Issoufou), Roch Marc Christian Kaboré au Burkina Faso, Ali Bongo Ondimba au Gabon et Alpha Condé en Guinée ont tous un point commun : ils ont été mal élus, lors de scrutins tronqués par la force ou par la puissance de l’argent. L’élection n’est plus synonyme de légitimité : « Au Niger, aucun parti au pouvoir n’a jamais perdu des élections. Un coup d’État était presque la seule possibilité d’y changer la configuration du pouvoir », souligne l’anthropologue Jannik Schritt, qui a étudié la « pétro-démocratie » nigérienne.

« À quoi sert la démocratie si on n’a pas de quoi nourrir la famille après le travail ? »

Ces cinq chefs d’État déchus partagent une autre caractéristique : durant leur mandat, les scandales financiers ont défrayé la chronique, quand le niveau de vie de la population a stagné en dépit des chiffres ronflants de la croissance. « À quoi sert la démocratie si on n’a pas de quoi nourrir la famille après le travail ? » interroge un syndicaliste malien ayant requis l’anonymat. Une étude menée peu avant le putsch au Niger par le réseau de recherche indépendant panafricain Afrobarometer illustre ces aspirations contradictoires. La grande majorité des sondés (72 %) se disaient opposés au système de parti unique et voyaient la démocratie comme le meilleur système politique (61 %). Mais près de la moitié (48,5 %) indiquaient être favorables à ce que l’armée prenne le pouvoir pour diriger le pays, et une majorité (56,9 %) estimaient « plus important d’avoir un gouvernement efficace, même si le peuple n’a aucune influence sur ses actions ».

Le problème n’est donc pas la démocratie en tant que telle, souligne le politiste Gilles Yabi, fondateur du think tank Wathi, basé à Dakar, mais la manière dont elle a été mise en œuvre sur le continent. Il faut cesser « de reprocher à un modèle démocratique qui viole régulièrement les principes constitutionnels de ne pas produire les résultats escomptés », s’irrite-t-il. Dans nombre de pays ouest-africains, on qualifie le régime en place de « démocratie light » : « Comme le Coca light, ça a la couleur du Coca, mais pas le goût », entend-on. Les militaires ont ainsi beau jeu de se présenter comme une alternative crédible et de faire passer leur prise du pouvoir comme un mal nécessaire. 

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