Un Loup n’avait que les os et la peau,
     Tant les Chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s’était fourvoyé par mégarde.
     L’attaquer, le mettre en quartiers,
     Sire Loup l’eût fait volontiers.
     Mais il fallait livrer bataille
     Et le Mâtin était de taille
     À se défendre hardiment.
     Le Loup donc l’aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
     Sur son embonpoint, qu’il admire.
     « Il ne tiendra qu’à vous, beau sire,
D’être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
     Quittez les bois, vous ferez bien :
     Vos pareils y sont misérables,
     Cancres, hères, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? Rien d’assuré, point de franche lippée ;
     Tout à la pointe de l’épée :
Suivez-moi ; vous aurez un bien meilleur destin. »
Le Loup reprit : « Que me faudra-t-il faire ?
– Presque rien, dit le Chien : donner la chasse aux gens
     Portant bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son maître complaire ;
     Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons :
     Os de poulets, os de pigeons,
     Sans parler de mainte caresse. »
Le loup déjà se forge une félicité
     Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant il vit le col du Chien, pelé :
« Qu’est-ce là ? lui dit-il. – Rien. – Quoi ! rien ? – Peu de chose.
– Mais encor ? – Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
– Attaché ? dit le Loup : Vous ne courez donc pas
     Où vous voulez ? – Pas toujours, mais qu’importe ?
– Il importe si bien, que de tous vos repas
     Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. »
Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor.

 

Dans Zone, Guillaume Apollinaire trouvait la poésie dans les prospectus, les catalogues, les affiches, et la prose dans les journaux ! Mais tous les poètes ne sont pas aussi tendres avec les médias, de Baudelaire dégoûté par les gazettes à faits divers à Francis Ponge décrivant la radio en « bourdonnante, radieuse seconde petite boîte à ordures ». Tant la liberté financière d’écrire est limitée en démocratie par les goûts du public. Au xviie siècle, censure et autocensure dérivent du roi et parfois des mécènes. Sans que les chansons et les hommages n’enrichissent des artistes dépourvus, la bise venue, tels la Cigale. Le Loup et le Chien paraît en 1668 dans la première livraison des Fables que le poète, d’abord protégé par Fouquet puis par Mme de La Sablière, entre autres bienfaitrices, dédie au Dauphin. Le poème s’inspire du Grec Ésope mais surtout des Latins Térence et Phèdre. En quelques mots, La Fontaine dépeint le physique et le caractère du Loup, humble parce qu’impuissant. Puis, retranscrit longuement l’offre du Chien à un Loup quasi silencieux. La découverte du col pelé donne lieu à un alexandrin qui réunit quatre répliques. Le dernier mot appartient à maître Loup, dont l’image est transformée. Fini Ysengrin le benêt, raillé au Moyen Âge par Le Roman de Renart ! La fable présage des écrivains modernes chérissant leur indépendance, quitte à se faire maudits. Et qui trouvèrent longtemps dans les piges des journaux de quoi souper et médire. Reste à savoir si leur pouvoir existe encore ou s’il a maigri comme ce Loup famélique. 

 

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