« Une action et des métiers en pleine transition »
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Qu’est-ce qui différencie une ONG d’une autre ?
Dans le secteur, les entités se différencient en fonction de leurs spécialités : l’humanitaire, le développement, le plaidoyer, les droits humains et l’environnement. Les ONG dites humanitaires sont de deux types : il y a les humanitaires pures, à savoir celles qui interviennent uniquement sur des situations de crise à l’international, et celles qui travaillent aussi sur des questions de développement, comme c’est le cas du réseau Caritas International, par exemple. Enfin, certaines ONG mènent leurs actions à la fois en France et à l’international. De nombreuses ONG présentent une spécialité, qu’elle soit médicale, relative à la relance économique ou à la protection de l’enfance, par exemple. Solidarité International se concentre beaucoup sur l’eau et l’assainissement, et des ONG comme Médecins du monde (MDM) ou Médecins sans frontière (MSF) ont une plus grande expertise en santé et en santé mentale.
Quelle place la santé mentale occupe-t-elle aujourd’hui dans l’aide humanitaire ?
Une place de plus en plus grande, en particulier au sein d’organisations comme MDM et Humanité & Inclusion, anciennement Handicap International. À la Fondation de France, toutes nos interventions d’urgence comprennent un volet « santé mentale ». La santé mentale des travailleurs humanitaires occidentaux est depuis longtemps un sujet de préoccupation. Ils sont préparés et accompagnés psychologiquement dans le cadre de leurs missions et ont la possibilité de prendre des congés pour revenir passer du temps chez eux et de faire une pause régulièrement. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est la prise de conscience croissante de la part des ONG d’un besoin d’attention particulier à l’égard de la santé mentale des travailleurs humanitaires locaux. On appelle cela le « staff care ». Ces travailleurs, parce qu’ils habitent dans le pays en crise, ont eux-mêmes vécu personnellement les catastrophes pour lesquelles on leur demande de venir en aide à la population. C’est un travail vraiment intense dans lequel on est très exposé et perméable à la peine des personnes que l’on accompagne. Souvent, quand la première urgence est passée, les humanitaires sur le terrain sont épuisés physiquement et moralement. Ils ont parfois besoin d’une prise en charge. En Ukraine, par exemple, la Fondation de France accompagne ses partenaires avec des programmes de psychoéducation et de prévention pour leurs équipes. En ce qui concerne la population locale, de plus en plus d’ONG mettent en place des activités psychosociales, en collectif, pour aider les populations à se divertir et leur offrir l’opportunité de parler de ce qu’elles ont vécu. C’est l’occasion de repérer les individus qui présentent des troubles – souvent de nature post-traumatique – et de les adresser à des professionnels de santé afin de les faire entrer dans un parcours de soins.
« Le secteur humanitaire, influencé par le mouvement décolonial, a aussi pris conscience de la nécessité de laisser les rênes aux associations des pays concernés. »
Comment devient-on humanitaire ?
Il existe plusieurs chemins. Au fil des dernières années, de nombreux établissements d’enseignement supérieur, publics et privés, ont commencé à proposer des parcours de formation spécifiques plus ou moins longs. En France, c’est le cas de l’Iris ou de structures spécialisées dans l’humanitaire et le développement qui ont récemment émergé, comme Bioforce, Ciedel ou IFAID Aquitaine. Dans les universités plus classiques, des masters en coopération internationale peuvent aussi mener aux métiers de l’humanitaire. Ces formations sont en train de modeler, pour certaines, des profils assez différents des humanitaires de ma génération qui, pour la plupart, sont des agronomes, des étudiants de Sciences Po, des anthropologues, des sociologues et des logisticiens. Les missions des humanitaires occidentaux ont changé : les associations locales sont de plus en plus autonomes. Aujourd’hui, la plus-value des Occidentaux consiste davantage, entre autres compétences techniques, en la capacité à récolter de l’argent et à rédiger des rapports dans la langue des bailleurs. Les formations se concentrent de plus en plus sur ces aspects, parfois au détriment d’un enseignement géopolitique et anthropologique. C’est dommage, car la solidarité internationale, c’est aussi le fait d’être ensemble, d’apprendre à se comprendre et à comprendre les pays avec lesquels on travaille.
Comment expliquer cette autonomisation des associations locales ?
C’est le fruit d’un long accompagnement par des associations étrangères, mais aussi de la remontée du niveau d’éducation dans le monde. Le secteur humanitaire, influencé par le mouvement décolonial, a aussi pris conscience de la nécessité de laisser les rênes aux associations des pays concernés. C’est une très bonne chose, même si la transition ne se fait pas sans difficulté. Elle remet en cause le modèle économique de la plupart des ONG. Le métier d’humanitaire doit à présent évoluer.
« Les banques et les États n’ont qu’une crainte : que l’argent de l’humanitaire finance les mauvaises personnes, notamment des terroristes. »
Quelle est l’influence des différentes ONG ?
Nous sommes tous connectés au sein de réseaux multiples et variés, qu’ils soient locaux, nationaux, internationaux ou thématiques. L’humanitaire reste un petit monde. On établit des positionnements ensemble. Au niveau français, par exemple, nous avons plusieurs espaces de travail en fonction des questions abordées : l’accès aux territoires, le plaidoyer, les financements, l’enjeu de la bureaucratisation de nos métiers… Nous nous réunissons tous les trimestres avec le centre de crise et de soutien du ministère des Affaires étrangères pour partager nos préoccupations. Nous organisons des séminaires, des forums pour partager nos avis de façon assez collective. Bien entendu, les plus grosses ONG, notamment celles qui sont constituées en réseaux internationaux, comme Caritas ou Oxfam, ont plus de poids que les petites.
Comment vous répartissez-vous les différentes zones d’action ?
À chaque grosse catastrophe, nous nous réunissons là encore au ministère des Affaires étrangères pour répartir et organiser le travail au mieux. Parmi les ONG, certaines fonctionnent essentiellement avec des fonds publics, elles vont donc sur des territoires où l’État français et l’Union européenne engagent de l’argent. D’autres ONG sont historiquement installées dans certains pays, parce que leur fondateur a un lien particulier avec eux ou pour toute autre raison ; elles y agissent donc en priorité. Notre avantage en tant que fondation, c’est que nous fonctionnons avec des fonds 100 % privés, ce qui nous permet de maintenir nos appuis longtemps après une catastrophe. Il y a par exemple eu au Népal un tremblement de terre en 2015. L’opération d’urgence qu’a menée la Fondation de France est terminée, mais nous sommes toujours présents. Nous travaillons avec des associations népalaises afin de soutenir leur travail de préparation à de futures catastrophes.
À quelles difficultés propres à l’époque actuelle font face les ONG ?
La difficulté d’accéder à certains territoires a toujours existé, mais la situation a tendance à se compliquer. Idem au niveau financier : il est de plus en plus difficile d’envoyer des fonds dans des pays comme la Russie ou la Syrie, en raison d’interdictions. Les banques et les États n’ont qu’une crainte : que l’argent de l’humanitaire finance les mauvaises personnes, notamment des terroristes. Des pays sont même blacklistés politiquement et les banques bloquent systématiquement les transferts d’argent vers ces zones. C’est très gênant, notamment pour nous qui soutenons des associations locales. Une autre difficulté consiste en l’accroissement des besoins humanitaires, en particulier à cause des catastrophes climatiques plus fréquentes. Les moyens financiers disponibles sont insuffisants. La France vient en outre d’annoncer une coupe de plus de 700 millions dans l’aide publique au développement. En parallèle de cela, comme je l’évoquais précédemment, les ONG françaises doivent changer leurs méthodes de travail, or toute transformation a des coûts. Enfin, il existe aujourd’hui une vraie volonté des ONG de mieux intégrer les problématiques environnementales dans leur travail, en modifiant en particulier leurs modalités et fréquences de déplacements. Une telle évolution nécessite des financements, qui manquent actuellement.
Les ONG françaises ont-elles une spécificité par rapport aux autres ?
Elles sont généralement connues pour être les « ONG du dernier kilomètre », celles qui ont tendance à aller dans des zones reculées où d’autres ne vont pas. Cela tient en partie à deux raisons : d’une part, elles sont souvent de taille moyenne, ce qui permet une certaine agilité sur le terrain ; d’autre part, beaucoup d’entre elles ont recours à des fonds privés. La plupart ont de fait une identité associative : elles ont été créées par des gens qui avaient envie de faire quelque chose ensemble. C’est aussi cela, le cœur du travail humanitaire.
Propos recueillis par MANON PAULIC
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