Soixante ans après la signature des accords d’Évian, pourquoi le passé colonial déchire-t-il toujours la société française ?

Après la fin de la guerre d’Algérie se retrouvent en France des colons, ou descendants de colons, des juifs, des harkis – des musulmans ayant combattu pour la France – ainsi que des Algériens. Ils étaient dans des camps opposés pendant les huit ans qu’a duré ce qui fut en réalité une guerre civile (lesdits « musulmans d’Algérie » étaient formellement français avant 1962, dans un statut d’infériorité juridique). Et quel sens donne-t-on à leur présence sur le territoire national après 1962 ? Aucun. Or, les humains ne peuvent pas vivre ensemble sans narration, sans explications sur leur destinée commune. Ce ne sont pas des machines destinées seulement à produire dans des usines ! Pendant des années, ils ont guetté, comme leurs enfants ou leurs petits-enfants après eux, une explication donnée par la République, en vain. Et le seul message qu’ils reçoivent aujourd’hui est celui d’idéologues, souvent radicalisés, dont la seule narration est la poursuite de la guerre civile.

Les lois mémorielles, les gestes symboliques peuvent-ils permettre d’apaiser ces relations ?

Cela ne sert pas à grand-chose, tant que cela ne s’inscrit pas dans un récit plus vaste qui donne du sens à ce qu’on vit et à ce qu’on a vécu. Ce n’est pas limité au fait colonial, bien sûr. Ce que l’on raconte aujourd’hui sur le 14 juillet 1789 est souvent n’importe quoi. Mais les révolutionnaires de 1789 ne sont plus là pour se plaindre des interprétations actuelles. Les témoins et les acteurs de la colonisation, et leurs enfants et petits-enfants à qui ils ont parlé, si. Beaucoup sont encore meurtris par cette histoire. Et cela ne peut pas se régler dans des déjeuners à l’Élysée.

Comment faire alors ?

Il manque un récit national qui intègre l’histoire de chacun. C’est pourtant une histoire de progrès. La France a été le premier pays à abolir l’esclavage, en 1794, le premier à l’inscrire dans son droit comme crime contre l’humanité, punissable de déchéance de nationalité après la deuxième abolition de 1848, rendue indispensable à cause du rétablissement de l’esclavage par Napoléon. Après les colonisations, il y eut les décol

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