En 1899, dans Le Fardeau de l’homme blanc, Rudyard Kipling invitait les colons à veiller avec un lourd harnais sur des peuples « mi-démons, mi-enfants ». Quelle meilleure réponse à cette ratiocination toxique que le surréaliste Cahier d’un retour au pays natal, chef-d’œuvre lyrique de la négritude ! 

 

Et ce pays cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes ; que les pulsations de l’humanité s’arrêtent aux portes de la négrerie ; que nous sommes un fumier ambulant hideusement prometteur de cannes tendres et de coton soyeux et l’on nous marquait au fer rouge et nous dormions dans nos excréments et l’on nous vendait sur les places et l’aune de drap anglais et la viande salée d’Irlande coûtaient moins cher que nous, et ce pays était calme, tranquille, disant que l’esprit de Dieu était dans ses actes.

Nous vomissure de négrier
Nous vénerie des Calebars
quoi ? Se boucher les oreilles ?
Nous, soûlés à crever de roulis, de risées, de brume humée !
Pardon tourbillon partenaire !

J’entends de la cale monter les malédictions enchaînées, les hoquettements des mourants, le bruit d’un qu’on jette à la mer… les abois d’une femme en gésine… des raclements d’ongles cherchant des gorges… des ricanements de fouet… des farfouillis de vermine parmi des lassitudes…

Rien ne put nous insurger jamais vers quelque noble aventure désespérée.
Ainsi soit-il. Ainsi soit-il.
Je ne suis d’aucune nationalité prévue par les chancelleries
Je défie le craniomètre. Homo sum etc.
Et qu’ils servent et trahissent et meurent
Ainsi soit-il. Ainsi soit-il. C’était écrit dans la forme de leur bassin.

Extrait de Cahier d’un retour au pays natal, 1939 © Présence africaine, 1956

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !