Le trapéziste d’une République abîmée
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Le président français aura la lourde charge de faire oublier les tremblements de terre politiques à répétition qui ont secoué son mandat. Pour cet équilibriste du pouvoir, le salut pourrait enfin passer par l’acceptation des corps intermédiaires, amortisseurs indispensables d’une République à l’image du pays : paralysée par ses fractures que le chef de l’État a pour mission de surmonter.
« Ce qui pèche dans notre système, c’est bien plutôt la carrière des hauts fonctionnaires, trop protégés alors que le reste du monde vit dans le changement. » Cette phrase, tirée de son livre Révolution, paru chez XO Éditions en pleine campagne présidentielle 2017, est presque anodine dans le lexique politique d’Emmanuel Macron. Mais elle offre a posteriori un excellent miroir de sa posture personnelle et présidentielle, à l’aube de ce second mandat qu’il vient de décrocher avec plus de 58 % des voix. Une phrase où tous les mots sont soupesés. Système. Carrière. Protégés. Reste du monde. Changement. Comment mieux définir ce chef de l’État élu à 39 ans sur les décombres du mandat de son prédécesseur, et réélu cinq ans plus tard sur le chantier d’une France plus fracturée que jamais, que par ces « cailloux » dont son parcours présidentiel est jalonné ?
Homme du sérail sans vouloir se mouler dans le système. Carriériste désireux de réussir sans suivre le parcours imposé de sa caste. Partisan invétéré du risque contre la protection. Convaincu que la France doit accepter d’être comparée à ses voisins occidentaux, et, surtout, capable d’en tirer les conséquences. Persuadé que la seule action politique qui vaille est celle qui, peu ou prou, s’enracine dans l’avenir, même si son éloge initial de la start-up nation s’est estompé au fil de son premier mandat.
Tel était Emmanuel Macron le 7 mai 2017, porté par 66,1 % des voix. Et tel reste-t-il, à 44 ans, ce 25 avril 2022, à l’aube de cinq nouvelles années élyséennes. Un chef de l’État crédité pour sa compétence, sa connaissance des dossiers et sa capacité à incarner le pays sur la scène internationale, mais finalement incapable de se projeter dans un autre univers politique que le sien. Le président réélu d’une République demeurée rétive à ses deux idées-forces, si peu partagées par ses concitoyens : la nécessité pour le pays de se moderniser, et le besoin de découpler, dans un monde devenu si concurrentiel et de moins en moins démocratique, l’efficacité de l’égalité.
« Je dois bien l’avouer. Je suis désynchronisé »
Emmanuel Macron n’a jamais prétendu, avant d’être porté par les urnes au sommet du pays, qu’il connaissait la France. Cinq ans plus tard – et malgré sa victoire électorale –, son parcours présidentiel et le débat télévisé du 20 avril face à Marine Le Pen ont démontré que l’interrogation fort répandue sur son degré d’intimité avec le pays qu’il préside reste posée. Son livre, ses entretiens, ses discours, le grand débat national de 2019, mais aussi ses interventions publiques au fil de son premier mandat n’ont pas fondamentalement remis en cause sa volonté de garder ses distances. D’accord pour essayer de mieux comprendre les Français. D’accord pour leur consacrer du temps, surtout lorsque les circonstances politiques l’exigent. D’accord pour faire remonter leurs « doléances » et pour exiger à intervalles réguliers de l’administration qu’elle se rapproche du « terrain » afin de mettre en œuvre des solutions plus adaptées. Mais pas d’envie affichée et revendiquée de mieux connaître ce pays, ces nuances provinciales forgées dans les paysages, ces traditions architecturales modelées par les aléas du climat, cette « ambivalence fertile d’où naît tout l’enjeu d’une réflexion géographique sur le territoire », pour reprendre l’expression de Samuel Depraz dans La France des marges (Armand Colin, 2017).
Chez Macron, l’énarque-philosophe épris d’idées et de concepts l’emportera toujours sur l’historien
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[Soupçon]
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« Des bains de foule épisodiques ne laveront pas le soupçon de suffisance » collant à la peau d'Emmanuel Macron, avertit l'écrivain et journaliste Robert Solé.
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