« Jupiter doit descendre de son Olympe »
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En quoi ce deuxième mandat peut-il être différent du premier ?
En vérité, la question est double : doit-il l’être, et peut-il l’être ? La réponse à la première question est évidente : un deuxième mandat devrait être totalement différent du premier. François Mitterrand avait eu, en 1988, l’intelligence d’aller chercher son meilleur ennemi, Michel Rocard, et de le faire Premier ministre, et avait démontré une ouverture vers le centre, après un premier mandat qui était très à gauche. Dans le cas de Jacques Chirac, il sortait d’une période de cohabitation de cinq ans, son deuxième mandat devait donc nécessairement être autre.
Là, nous sommes dans une situation qui est d’une certaine manière sans précédent, avec un président réélu sans cohabitation, ayant assumé une gouvernance très forte, et abordant un deuxième mandat dans lequel il sera en possession de tous ses moyens – il ne faut pas oublier que les précédents avaient été en partie empêchés sur le plan de la santé.
« Pour lui, le grand débat, c’est aussi potentiellement le grand chaos »
Pour autant, il devra mener un mandat différent également parce que les Français ont une attente importante sur un certain nombre de sujets qui n’ont pas vraiment été traités depuis cinq ans, à commencer par l’écologie. Pourra-t-il répondre aux espoirs de la gauche modérée, qui a voté pour lui dans le cadre d’un front républicain, quand Jacques Chirac ne l’avait pas fait en 2002 ? Il y aura, surtout, beaucoup d’attentes quant à son style, à sa façon de gouverner. S’il ne change rien à sa pratique du pouvoir, il s’expose à de graves difficultés. Parce que l’élection n’a pas purgé tous les conflits dans la société, parce qu’il y a le sentiment qu’il n’y a pas eu assez de délibérations pendant la campagne, alors même que nos sociétés connaissent de profonds bouleversements, quasi anthropologiques, sur des thèmes comme l’environnement, la guerre ou les rapports de genre. Jusqu’à présent, Emmanuel Macron a dit : je vous écoute, puis je prendrai seul les décisions qui s’imposent. Dans son second mandat, Jupiter doit descendre de son Olympe et associer tous les Français aux solutions qu’il propose.
Enfin, le dernier enjeu sera de bien davantage tenir compte des élus et des corps intermédiaires, méprisés pendant cinq ans.
Emmanuel Macron a évoqué un « grand débat permanent » pour les cinq ans à venir. Est-ce que cela dénote une volonté réelle d’infléchir sa façon d’exercer le pouvoir ?
Je pense qu’il y a une dimension tactique, légitime d’ailleurs, dans cette proposition, car il sait très bien que l’électorat qu’il voulait faire basculer en sa faveur y est sensible, et parce qu’on lui répète à longueur de temps que sa pratique solitaire du pouvoir est un problème. Mais on touche là aux limites de sa propre personnalité : il n’a pas l’habitude de fonctionner comme ça, il croit vraiment qu’on travaille mieux en petits groupes. Pour lui, un homme d’ordre, le grand débat, c’est aussi potentiellement le grand chaos, le grand défouloir. Donc, pour l’instant, ce « grand débat permanent » ne veut rien dire. Il faudra voir ce qu’il va en faire : si c’est un grand oral du président qui répond directement aux doléances des Français, façon monarchie 2.0, ça ne marchera pas ; mais s’il est capable d’inventer de nouvelles formes de délibération – comme il l’a esquissé en parlant d’une convention citoyenne sur la fin de vie – afin que les Français puissent directement prendre des décisions sur des questions précises, ça peut être une piste.
Il y a cinq ans, son élection avait été suivie de doutes quant à sa capacité à réunir une majorité à l’Assemblée. Est-ce différent aujourd’hui ?
Le plus probable est qu’il ait une majorité, mais ça ne veut pas dire une majorité reposant uniquement sur la République en marche. Je pense qu’il y a en vérité trois scénarios qui se dessinent. Le premier est celui d’une cohabitation, à laquelle à ce stade je ne crois pas, car les Français voudront être cohérents avec eux-mêmes et parce qu’aucune force politique d’opposition n’est en mesure de mener son parti ou une coalition au pouvoir.
Le deuxième serait d’arriver à réitérer le coup de 2017, et de faire réélire une large majorité de la République en marche. Mais cela risque d’être difficile, car, cinq ans plus tard, LREM n’a toujours pas d’ancrage territorial.
« C’est de la manière dont LFI va traiter ses alliés et proposer une union de la gauche que va dépendre le résultat des législatives »
La troisième option, plus plausible à mon sens, serait donc une sorte de coalition de centre droit entre la République en marche, les centristes, le nouveau parti Horizons d’Édouard Philippe et, pourquoi pas, LR. Horizons sera, à mon avis, la principale force supplétive et espérera proposer un contrat de gouvernement – contrat qui pourrait d’ailleurs s’avérer embarrassant puisque l’on sait que les relations entre Philippe et Macron ne sont pas très bonnes, et que l’ancien Premier ministre songe déjà à l’après-Macron. Quant aux Républicains, leurs électeurs ont été déchirés au second tour entre Macron et Le Pen, et pour eux les lendemains vont être très difficiles parce qu’ils sont financièrement aux abois, et idéologiquement en perdition. Je ne serais donc pas surpris qu’une partie du groupe Les Républicains, si la crise n’est pas tranchée d’ici aux législatives, se range dans une majorité présidentielle tout en gardant son identité.
Dans ce cas d’une très large coalition centrale, qui jouera le rôle de l’opposition ? Marine Le Pen ?
Le scrutin majoritaire risque encore une fois d’empêcher le Rassemblement national d’obtenir un très grand nombre d’élus. Si Marine Le Pen n’obtient que 15 ou 20 députés, alors qu’elle a réuni plus de 40 % des suffrages exprimés au second tour, cela engendrera un énorme problème démocratique. Emmanuel Macron ne va pas pouvoir repousser aux calendes grecques l’instauration d’une loi proportionnelle. Il a dit qu’il créerait assez vite une commission transpartisane sur les institutions. J’espère qu’elle va se tenir, qu’il y aura des propositions en ce sens et que l’on trouvera une solution pour revitaliser non seulement la démocratie directe, mais également la démocratie délibérative.
Cette nouvelle défaite, est-ce un coup d’arrêt définitif pour Marine Le Pen ou bien la dernière marche avant la victoire ?
On n’a jamais vu, dans l’histoire de la Ve République, un candidat avec des chances de victoire se présenter quatre fois. Ce qui est particulièrement compliqué pour Marine Le Pen, c’est que les gens qui ont soutenu la candidature d’Éric Zemmour, et Éric Zemmour lui-même, ont émergé parce qu’ils pensent que Marine Le Pen n’a pas le niveau, qu’elle ne l’a jamais eu et qu’elle ne l’aura jamais, comme l’illustre le discours d’éric Zemmour dimanche soir. Certes, elle a l’âge de se représenter, mais elle va faire face à une véritable opposition de Reconquête, qui essaiera de grignoter le Rassemblement national, en faisant appel à la partie la plus droitière de LR, qui pourrait rejoindre Zemmour, à l’instar de Guillaume Peltier. Si, par le plus grand des hasards, Reconquête réussit son OPA sur l’union des droites, cela va vraiment la mettre en difficulté, surtout après trois défaites consécutives. Il risque d’y avoir une lassitude des électeurs, notamment sur deux sujets : l’aspect monothématique du Rassemblement national sur l’immigration, malgré ses efforts pour adoucir son image et se porter sur le social ; et le fait qu’il reste une marque familiale. Ce n’est pas un hasard si Marion Maréchal a raboté son nom de famille !
La gauche peut-elle peser sur la campagne des législatives ?
Tout va dépendre de la capacité de la France insoumise à tendre la main à ses adversaires, et non pas à les écraser sous prétexte qu’ils sont faibles. Aucun parti à gauche n’est en situation d’avoir une position d’hégémonie, même quand il est mieux organisé, même quand il a un candidat qui fait 22 %. Parce qu’une des conditions pour que les sympathisants de gauche puissent continuer à soutenir Mélenchon, ou plutôt la France insoumise, c’est justement qu’il n’y ait pas que Mélenchon. C’est donc de la manière dont LFI va traiter ses alliés et proposer une union de la gauche que va dépendre le résultat des législatives. Sans union, la gauche sera pratiquement inexistante.
Le troisième tour se jouera-t-il lors des législatives ou dans la rue ?
Les deux. Il ne faut pas croire que Macron réélu, les affects négatifs qui se portent sur lui vont disparaître. Il y a quand même une très grande exaspération à l’égard de sa personne comme de sa pratique du pouvoir. Si ça ne se solde pas aux législatives, si l’on n’assiste pas à la constitution de vrais blocs d’opposition, si l’on a le sentiment de ne voir qu’une seule France s’exprimer – ce qui a été le cas au Parlement jusqu’à présent –, s’il n’y a pas une proposition de réforme institutionnelle à même de solder le problème, alors je pense que cela se jouera dans la rue, un lieu traditionnel de règlement des différends en France, surtout dans un système qui présente trop peu de contre-pouvoirs.
Sur quels sujets Emmanuel Macron va-t-il être attendu en priorité ?
Le sujet numéro un va bien évidemment être les retraites. Ç’a été le principal point noir de sa campagne, même s’il l’a plutôt bien justifié dans le débat d’entre-deux-tours en insistant sur l’étalement dans le temps et en expliquant que cela allait augmenter le niveau des retraites, et donc que le gain de pouvoir d’achat allait être immédiat alors que le départ allait être différé. Mais s’il doit s’appuyer sur une majorité qui penche à droite, il peut y avoir un durcissement très fort sur ces questions.
Deuxièmement, si les promesses faites en matière d’environnement ne sont pas celles qu’il a plus ou moins laissé entendre lors de la campagne présidentielle, s’il déçoit sur ces questions, cela lui créera beaucoup de problèmes parce que ce sont des sujets qui sont de nature à mobiliser l’opposition et la jeunesse.
« Ce second mandat c’est, pour lui, le moment où il va falloir édifier sa statue pour l’histoire »
De manière générale, je pense qu’Emmanuel Macron ne bénéficiera pas du traditionnel état de grâce qui tient à distance les mouvements de colère durant les premiers mois du mandat. On sait que près de 50% de ses électeurs du second tour ont voté pour faire barrage à Marine Le Pen. Donc sa propre personne peut continuer à crisper, au-delà des sujets précis. Quand de Gaulle perd le référendum de 1969, ce n’est pas en raison de la question posée, mais du fait de sa propre personne.
Dix ans d’exercice du pouvoir sans cohabitation, ce serait du jamais-vu depuis de Gaulle, justement. Est-ce une difficulté supplémentaire ?
On ne peut pas le dire avant la fin du second quinquennat. Mais la lassitude qu’avait rencontrée de Gaulle est un bon avertissement. Je pense que la raison pour laquelle la cohabitation est intéressante, c’est qu’elle permet des respirations démocratiques dans un pays comme la France, dans lequel le système institutionnel ne rend pas l’alternance aussi facile que dans une démocratie parlementaire. Mais, à l’inverse, il n’y a pas assez d’esprit de consensus en France pour qu’on aime l’idée qu’une seule personne impose une seule politique pendant dix ans. Le défi pour Emmanuel Macron sera de réussir le changement dans la continuité, à travers une nouvelle pratique du pouvoir, pour maintenir des niveaux d’enjeux et d’intérêt autour de sa politique.
Ce sera son dernier mandat, sans l’obsession de la réélection. Qu’est-ce que cela change ?
Cela va dépendre de ce qu’il en fait. Il peut décider qu’il a désormais les coudées franches pour faire un certain nombre de choses. Certes, dans son programme, il n’y a pas de volonté réelle de renverser la table. Mais il y a quand même un horizon institutionnel, climatique – des sujets sur lesquels il pourrait vraiment marquer l’histoire et les esprits. Dans ce premier quinquennat, il n’y a aucune grande réforme, aucun moment fondateur, hormis la capacité à résister à des crises, ce qui n’est déjà pas si mal en ces temps troublés. Ce second mandat c’est, pour lui, le moment où il va falloir édifier sa statue pour l’histoire. Est-ce qu’il sera un président qui aura fait deux mandats mais sans grand héritage, comme Jacques Chirac ? Ou imprimera-t-il une trace plus profonde dans le destin du pays ? Il est encore trop tôt pour le dire.
Propos recueillis par JULIEN BISSON
« Jupiter doit descendre de son Olympe »
Vincent Martigny
Selon le politiste et chroniqueur du 1 hebdo Vincent Martigny, le président va devoir réinventer sa manière de gouverner, mais demeure néanmoins le mieux placé pour gagner les législatives.
[Soupçon]
Robert Solé
« Des bains de foule épisodiques ne laveront pas le soupçon de suffisance » collant à la peau d'Emmanuel Macron, avertit l'écrivain et journaliste Robert Solé.
Sous l’élection, les manifestations
Jean-Marie Pernot
Le politiste Jean-Marie Pernot examine la possibilité que la contestation qui s’est exprimée dans les urnes à l’encontre du président se prolonge dans la rue au cours des mois à venir.