Désarroi dans les classes
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Le ministère de l’Éducation nationale a recensé environ deux cents incidents dans les écoles après les tueries de janvier. Une quarantaine d’entre eux ont été transmis aux services de police. Dans son collège de Seine-Saint-Denis situé en « zone prévention violence », la principale Julie D.* constate que les jeunes sont extrêmement perturbés depuis les événements. « Dans le self, raconte-t-elle, deux élèves se sont battus, provoquant un attroupement. Nous avons voulu évacuer le groupe mais les jeunes refusaient de sortir, nous criant : “Qu’est-ce que vous cherchez ? Vous voulez qu’il nous arrive la même chose ?” ». Une référence incohérente aux attentats. Une dizaine d’élèves de son établissement se sont opposés à la minute de silence du 8 janvier en hommage à Charlie Hebdo.
Dans les classes, les professeurs sont parfois désemparés. La plupart de ceux que nous avons sollicités n’ont pas souhaité répondre à nos questions. En revanche, ils s’expriment librement et sous couvert d’anonymat sur les réseaux sociaux. Sur le compte Twitter d’un jeune enseignant (@profenzep), on peut lire : « deux élèves ont joué à “Kouachi et Coulibaly” dans une de mes classes. » De son côté, un professeur d’histoire-géographie dans un lycée professionnel (@ACProfAuLP) poste une réaction d’élève : « Quand je me suis foutu de la prof d’anglais, elle m’a collée. La prochaine fois, je la dessinerai ! » Mais, souligne Marie C.*, professeur de philosophie dans un lycée de l’Essonne, « les élèves ne sont pas stupides. Il suffit de révéler leurs contradictions pour qu’ils comprennent l’absurdité de leurs raisonnements ».
Régulièrement émerge dans les débats le sentiment du deux poids deux mesures : pourquoi on soutient Charlie et on condamne Dieudonné, s’interrogent les élèves. « Ah bah voilà, dès qu’on touche aux juifs, il n’y a plus de liberté d’expression », s’indigne un adolescent dans la classe d’un professeur d’anglais en banlieue parisienne. Une phrase que l’on peut lire sur son blog Chez Monsieur le Prof, hébergé par Rue 89.
Pour Marie C., ces réactions témoignent de la nécessité d’affronter plus régulièrement les sujets sensibles dans le cadre scolaire. « On les évite pour maintenir le calme dans les classes. Je pense que c’est une erreur. L’affaire Dieudonné, qui a été vécue par les élèves comme une censure, revient souvent. Tout comme le conflit israélo-palestinien. Cela mérite une vraie réflexion. » Cette enseignante observe que la liberté d’expression comme la laïcité suscitent énormément de questions. « Où se situe par exemple la frontière entre l’humour et la haine raciale ? », demande-t-elle.
Dans ce climat de confusion, certains enseignants appellent à l’aide. « Dans mon collège, précise Julie D., ils ont demandé à la chargée de mission laïcité de l’académie d’envoyer des inspecteurs sur le terrain pour les soutenir dans les classes. Mais ils ne sont pas encore venus car ils sont débordés. » Le ministère a mis en place sur le site Internet Éduscol, portail de référence destiné aux professionnels de l’éducation, un ensemble de documents sur la laïcité, véritable support pour les équipes pédagogiques.
D’autres dérapages ont eu lieu : à Mulhouse, un professeur d’arts plastiques a été suspendu de ses fonctions pour avoir montré à ses élèves de quatrième des caricatures de Mahomet figurant dans Charlie Hebdo. À Bobigny, c’est une enseignante du Campus des métiers de l’entreprise qui a été révoquée après avoir alimenté en classe la théorie du complot. Elle a été enregistrée par un élève, ce qui traduit une atmosphère parfois des plus délétères.
* le prénom a été changé
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