Qu’on les encense ou qu’on en souligne les limites, les primaires se sont imposées en France comme une étape incontournable du rendez-vous présidentiel. Facteur de mobilisation, d’avancée vers une démocratie plus participative, voire de renouvellement du personnel politique pour les uns, renforcement des travers du système présidentiel par un état de campagne permanent dominé par des partis à bout de souffle sur fond d’hystérie médiatique pour les autres, les primaires suscitent le débat mais pas l’opposition. Il est pourtant un fait marquant qui passe trop souvent inaperçu. L’organisation des primaires par les deux principales formations politiques coïncide avec l’éviction d’un débat plus large sur la réforme des institutions. La Ve République, on le sait, a généré dès son avènement des polémiques sur sa nécessaire réforme, voire son abrogation. À droite, la tentation de rompre le compromis trouvé par de Gaulle avec Michel Debré (l’équilibre entre un exécutif bicéphale puissant et le Parlement) s’est régulièrement incarnée dans la revendication d’un présidentialisme plus affirmé. Nicolas Sarkozy n’avait pas fait mystère en 2007 de sa volonté d’affaiblir le Premier ministre, et donc le Parlement, au profit du président. La réforme constitutionnelle de 2008 avait pour objectif de parvenir à ce résultat – sans succès. À gauche, l’opposition aux institutions, accusées de permettre un coup d’état permanent, fut certes tempérée par le refus de François Mitterrand, qui fut leur principal thuriféraire, de les réformer une fois parvenu au pouvoir en 1981. Pour autant, le débat institutionnel a toujours trouvé depuis ses aficionados, pourfendeurs d’institutions auxquelles ils reprochent d’entretenir le mythe de l’homme providentiel au détriment d’une action politique collective. Arnaud Montebourg fut longtemps de ceux-là, tout comme Ségolène Royal qui fut la dernière candidate socialiste à l’élection présidentielle à proposer une véritable rénovation institutionnelle lors de sa campagne en 2007. Presque dix ans plus tard, les choses ont bien changé. Le groupe de travail sur l’avenir des institutions coprésidé par Claude Bartolone et l’historien Michel Winock a proposé l’année dernière des réformes ambitieuses, comme le mandat présidentiel unique, le retour au septennat ou la réduction du nombre de parlementaires. Mais ces propositions ont été accueillies par un silence politique assourdissant et n’ont suscité aucun débat. La promesse de François Hollande en 2012 d’introduire une dose de proportionnelle aux élections législatives a également fait long feu, enterrée de crainte d’élargir demain l’espace politique du Front national. Parmi les responsables politiques, qui aujourd’hui ose encore suggérer des réformes institutionnelles, voire défendre une VIe République ? Avec sa proposition d’une nouvelle Constituante, Jean-Luc Mélenchon fait office de Don Quichotte institutionnel dans un paysage sinistré. Les critiques à l’encontre du système actuel ne manquent pas, et tous reconnaissent les imperfections d’une Constitution taillée pour un géant politique et qui donne le sentiment d’être manœuvrée par des nains. Pourtant, à droite comme à gauche, nul ne remet en cause les institutions, considérées, à l’image de la démocratie selon le mot de Churchill, comme « le pire des systèmes à l’exception de tous les autres ». Nous vivons une situation paradoxale : alors que le constat de l’essoufflement de la Ve République n’a jamais été aussi largement partagé, celle-ci n’a jamais été aussi peu contestée.

Parce qu’elles autorisent n’importe quel second couteau à se rêver président de la République, les primaires ont pour conséquence de renforcer le légitimisme institutionnel. La multiplication des candidatures, parfois fantasques, aux primaires de la droite et du centre en témoigne. En renforçant la légitimité démocratique de l’élection présidentielle, elles rendent plus aiguë encore la question qui ne cesse d’agiter les contempteurs de la Ve République : comment réformer les institutions sans remettre en cause le moteur de participation politique que constitue cette élection ? La résignation à « l’élection présidentielle reine » qui accompagne le plébiscite des primaires, notamment dans l’appel lancé par un collectif d’intellectuels pour une primaire à gauche, est la plus récente manifestation de cet abandon du débat institutionnel. Le désintérêt de l’opinion pour ces questions fait le reste. Nous ne changerons pas de république en 2017, comme le soulignent les signataires de l’appel, et les primaires, indépendamment de leurs vertus et de leurs manques, ont une part importante de responsabilité dans cette situation. Pendant que la distance entre les citoyens et le système politique se creuse, la course présidentielle peut donc commencer… sur notre vieille carne -institutionnelle. 

 

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