Quand on me parle de primaire de gauche, je songe immédiatement à Martine Aubry, avant de me souvenir qu’il ne s’agit pas de la nature d’une personne, mais de la tenue d’un scrutin. Ortega Y Gasset définissait les diplomates comme des « hommes-presque » : qu’on leur donne une ambassade, ils sont presque tout. Qu’ils la perdent, ils ne sont presque rien. Cela vaut aussi des primaires à la française, un jeu jankélévitchien entre le presque-tout et le presque-rien. On ne pourra traiter ici d’une primaire qui n’existe pas encore, celle de la gauche. Si le président Hollande descend dans les sondages, il ne condescend pas à affronter des rivaux. Normal si l’on considère la théorie des deux corps du roi de Kantorowicz, le corps terrestre, périssable, et le corps sublime, celui de l’onction et de la transcendance. C’est déjà dur d’enfiler un costume, on ne va pas en plus sortir de son enveloppe. Surtout si c’est pour se réincarner face à Cécile Duflot. 

Il me reste donc la primaire de droite. Là, j’organise ma propre primaire, mais à table, façon guide Gault et Millau, en auditionnant mine de rien les candidats lorsque je romps le pain avec eux. Ce qui m’arrive plus souvent qu’à mon tour vu mon tempérament d’ermite. Bon, prenons Bruno Le Maire, ce candidat fractal. S’il n’est pas en état de bonne espérance, comme on le disait autrefois des femmes gravides, il nourrit néanmoins bien des espoirs. Je l’ai récemment entendu lors d’un déjeuner-débat au restaurant Laurent, ce qui est normal quand on se met sur le gril. Comme le débat s’ouvrait après le Gevrey-Chambertin, je lui ai demandé pourquoi la France était entrée en déficit au moment où la vision comptable du monde a commencé à prévaloir sur la pratique normalienne du pouvoir. Car, ne vous en déplaise, les budgets étaient tenus quand la France était gouvernée par des littéraires. Là, Bruno Le Maire a pu y aller sur le supplément d’âme normalien, juste assez pour inquiéter les comptables qui étaient autour de la table (Agnès Verdier-Molinié, par exemple, qui voit la vie publique comme une jambe variqueuse qu’il faut enserrer dans des bas de contention. Cette pythonisse m’a semblé obsédée par la contention comme Marlene Dietrich l’était par les porte-jarretelles à l’époque de L’Ange bleu). Mais je m’égare. 

Bon, Bruno Le Maire aurait pu agrémenter son propos humaniste par cette définition que Paul Morand donnait de l’Inspection des finances : « Tous les chiffres sont exacts, et le total, faux ». Ou bien rappeler cette phrase d’un homme d’esprit américain (ça existe) : « Sur les trois dernières grandes crises financières, les économistes en avaient prévu douze. » Allez, je les lui donne pour la prochaine fois. Je lui ai encore demandé, par pur esprit de vice rétrospectif, si Dominique de Villepin avait écrit tous ses livres. « Joker », a répondu Bruno Le Maire avec un air entendu. C’est un signe d’émancipation. Un ami me dit que Bruno Le Maire lui fait penser aux personnages de Sempé et Goscinny dans Le Petit Nicolas. Pourtant il est grand, et Nicolas c’est un autre. Peut-être la coupe de cheveux gagnerait-elle à être un peu plus longue, rien de révolutionnaire, juste une ondulation à la Salvatore Adamo. Mais je ne suis pas son barbier. 

NKM, je l’ai vue très récemment dans un dîner en ville. Elle a confirmé qu’elle se déclarerait en mars, cette sortie dans le toril s’accompagnant de la parution d’un livre. C’est curieux, chez les politiques, cet usage de l’essai comme un tract pour accéder aux lucarnes et créer le buzz. Un écrivain n’aurait jamais l’idée de faire l’inverse : se présenter à une élection pour que ses livres se vendent bien. NKM, je l’ai trouvée très en forme, pas du tout abîmée par la politique, et beaucoup moins seizième arrondissement que n’ont voulu le faire croire Anne Hidalgo et Canal Plus, ces méchants. Une polytechnicienne prête à repasser le concours. Très X. 

Il ne me reste guère de place ici pour évoquer -Nicolas Sarkozy, qui ne m’a plus invité à déjeuner depuis ce jour de 2004 où il avait traité à Bercy une brochette d’intellectuels comme Robespierre accommodait les girondins : à la charrette. Guère de place non plus pour François Fillon, qui m’avait convié à Matignon lorsque j’avais publié un livre un peu caustique sur Nicolas Sarkozy. Quant au favori des sondages, Alain Juppé, je réserve pour une prochaine chronique le récit du récent dîner où je l’ai côtoyé. Disons que j’avais cité ce soir-là, en bon cuistre, le début d’une lettre de Cicéron (« Cum e Cilicia decedens Rhodum venissem et eo mihi de Quintii Hortensii morte esset allatum* », etc.), et que cet agrégé de lettres classiques avait paru envahi d’une nostalgie du latin. Heureusement, Virginie Calmels est là pour la dissiper. Juppé, au demeurant, me fait songer à une phrase d’Oscar Wilde : « J’aime les hommes qui ont un avenir et les femmes qui ont un passé. » Que l’on sache, le maire de Bordeaux appartient encore au sexe masculin. 

 

* « Lorsqu’à mon retour de Cilicie je vins à Rhodes, j’y appris la mort d’Hortensius… » (début du Brutus de Cicéron).

 

 

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