Est-ce une épidémie, une lame de fond, le symptôme ou l’effet de la misère des temps modernes sans foi ni loi ? Est-ce un nouveau magistère de la parole qui donne aux slogans brandis à l’emporte-pièce l’ascendant sur la pensée complexe, sur la pensée tout court ? Où qu’on se tourne, du plus loin au plus près, de l’Amérique de Donald Trump – ou du Brésil de Jair Bolsonaro –, à la Grande-Bretagne de Boris Johnson, sans oublier à l’appel la Hongrie de Viktor Orbán ou la Turquie de Recep Erdoğan, le populisme sous toutes ses formes gagne partout du terrain. Même là où il ne gouverne pas, comme en France, il pousse à chaque élection son avantage, plaçant des Marine Le Pen au cœur du dispositif politique et qui sait un jour, de l’alternance.

Dans ce numéro du 1, nous avons voulu interroger ces figures aussi inquiétantes que fascinantes. Si elles heurtent la fibre démocratique et républicaine de nombreux citoyens, elles n’en finissent pas de séduire une part considérable et souvent grandissante des populations qui, à tort ou à raison, sous toutes les latitudes, se sent délaissée, incomprise et méprisée. Ici, c’est la question migratoire qui est opportunément agitée pour galvaniser le sentiment patriotique. Ailleurs, c’est la défiance vis-à-vis d’une Europe bureaucratique et dévoreuse de fonds publics qui est exacerbée. Partout, comme le souligne l’écrivain Alessandro Baricco dans une analyse magistrale, nos démocraties payent comptant la faillite des élites qui ont trop longtemps vécu hors-sol, loin des préoccupations et surtout des difficultés de leurs concitoyens. 

Certes, la part de clownerie et de bouffonnerie n’est pas exempte du tableau qui se dessine sur nos planisphères. « Le comportement et les discours de ces dirigeants se veulent un double inversé de la manière traditionnelle de faire de la politique, de plus en plus rejetée », écrit justement le politiste Vincent Martigny dans ce numéro. Les figures populistes manient le verbe et montrent le muscle, avec un penchant pour le discours martial, si ce n’est pas la force, et l’exhortation – pour ne pas dire la manipulation – des foules. Aucun de ces tribuns n’est à un mensonge près. Et pourquoi se priveraient-ils de cette arme puisque la vérité n’existe plus, dans un environnement délétère où plus personne ne croit plus personne ? Alors chacun y va de ses affabulations, qui sur le « chaos migratoire », qui sur les soi-disant sornettes du réchauffement climatique. Priver les populistes de leur pouvoir de séduction passe à l’évidence par un retour au réel. Mais qui aujourd’hui prend en compte cette dimension, alors que s’impose l’univers virtuel et anarchique des réseaux, dans cette « société inversée » décrite par Guy Debord (La Société du spectacle, 1967), où le vrai, écrivait-il, n’est plus qu’un moment du faux ? 

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