Le règne des bouffons

Il y a quelque chose de pourri au royaume des chefs. Comme si une tribu d’imposteurs était venue dans la nuit remplacer les dirigeants traditionnels dans quelques-unes des plus grandes démocraties du monde. Nous observons, ébahis, ces leaders d’un type nouveau effectuer des tours de passe-passe pour être élus, amuser la galerie, envahir l’espace public de leurs pitreries et de leurs gesticulations. Trump, Bolsonaro, Salvini, Johnson, Le Pen… Leurs discours à l’emporte-pièce, leurs tweets délirants, paranoïaques ou conspirationnistes, leur grossièreté, leur violence nous plongent souvent dans un abîme de perplexité et, le plus souvent, de gêne. 

« Buffone ! » avait lancé l’écrivain Roberto Saviano – menacé de mort par la mafia et sous haute protection policière – à Matteo Salvini, après que le ministre de l’Intérieur et vice-président du gouvernement italien eut menacé de lui retirer son escorte. Les bouffons, ces personnages traditionnellement chargés de divertir le prince par des plaisanteries grotesques ou obscènes, semblent en effet avoir pris la place de leurs maîtres. 

Loin de s’effondrer dans les sondages après leurs incartades répétées, ils caracolent dans les enquêtes d’opinion, loin devant leurs opposants. Trump dispose d’une cote de popularité stable aux États-Unis malgré les attaques virulentes dont il fait l’objet de toutes parts. Matteo Salvini est une star dans son pays, et Boris Johnson demeure en tête de dix points dans les intentions de vote par rapport à ses adversaires travaillistes. 

L’une des erreurs communément faites dans l’analyse du comportement des leaders populistes est d’attribuer leurs saillies à des dérapages : rien n’est plus éloigné de la réalité. Par leur comportement, ils manifestent une rupture consciente de l’ordre politique qu’ils mettent en cause. Dans un univers politique dominé par l’incarnation, où « l’être » est devenu plus important que « le faire », ils expriment ainsi leur refus de l’ordre établi et leur haine des élites – même s’ils en font partie. Ils adoptent un ton direct et sans fard qui séduit leurs soutiens, le plus souvent exaspérés par « l’hypocrisie » d

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