Quand Philip Roth a écrit sur l’avant dernier volume de la « Library of America » – sorte de « Pléiade » réservée aux écrivains américains – les mots que je vais recopier, j’étais très touchée. Aujourd’hui, en les relisant, je suis émue et triste : « Jan. 2014. For Jo, my pal, my loyal follower and friend, my french conscience. » Je ne sais trop comment traduire ça exactement, mais le mot « amie » m’a enchantée et « ma conscience française » m’a bien fait rire. Ce livre rassemble ses derniers romans. Ensuite, après Némésis, paru aux États-Unis en 2010, il a cessé de publier. Beaucoup pensent que cela ne signifiait pas cesser d’écrire. Je voudrais le croire et on le saura bientôt, mais je n’en suis pas certaine. 

« En France, je suis sanctifié », disait-il en riant. Il est vrai que depuis Pastorale américaine et plus encore après La Tache, prix Médicis étranger, il était best-seller, ce qui était rarement le cas aux États-Unis. Après la « Library of America », il lui restait à entrer dans « La Pléiade ». Quand je lui ai apporté le premier volume, en octobre 2017, il était vraiment heureux. Bien sûr, il voulait savoir combien d’écrivains vivants étaient actuellement dans « La Pléiade », et s’est montré assez content de savoir qu’ils n’étaient pas nombreux. Il m’a offert le dernier tome de la « Library of America » – ses essais – en me disant : « C’est la dernière fois que je te fais un cadeau, ensuite il n’y aura plus de livre à te donner. » Puis il a ajouté : « Mais il te reste une chose à faire, ma nécro. Si, si, fais-la et fais-la traduire, je veux la lire… Je vais même te donner la première phrase… non, je ne la trouve pas. » Je lui ai répondu que je l’avais trouvée : « On dit que Philip Roth est mort. C’est sûrement faux. Il a dû envoyer dans la tombe un de ses doubles, Nathan Zuckerman ou David Kepesh, et il est bien tranquille dans sa belle maison du Connecticut, il nage tous les jours. » Amusé, il a quand même insisté pour lire la suite.

Évidemment, je ne lui ai jamais envoyé la nécro. Et surtout, mauvaise professionnelle, je ne l’ai pas faite, je reculais, je reculais. On a toujours tort de laisser ses sentiments prendre le pas sur le professionnalisme. Puis, soudain, je l’ai promise au Monde pour le lundi

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