Roth était-il un écrivain engagé ?

C’est une question complexe que j’ai souvent abordée avec lui. Il aimait dire qu’il n’était pas un écrivain engagé. Au sens traditionnel de l’expression, c’est-à-dire au sens que nous lui donnons en France, c’est vrai. Philip Roth n’est pas un écrivain « à message ». Il ne cherche à illustrer aucune thèse. Pourtant, sa trilogie américaine (Pastorale américaine, J’ai épousé un communiste et La Tache) ainsi que Le Complot contre l’Amérique, ou encore Exit le fantôme, sont de grands romans sur l’histoire politique des États-Unis, tout comme le diptyque composé de La Contrevie et d’Opération Shylock propose le grand roman sur Israël. Je me souviens que la toute première fois que je l’ai rencontré, en 2002, et que je lui ai posé cette question, il m’a répondu, avec son ironie mordante, froide et cinglante : « Si vous avez traversé l’Atlantique pour me demander quelles sont mes idées, reprenez l’avion. Je n’ai pas d’idées. J’écris des romans. » Il considérait que le seul engagement que l’écrivain devait avoir était vis-à-vis de son art : écrire du mieux possible les meilleures fictions. Et quand on lui demandait ce que peut la littérature dans le monde au bord de la catastrophe qu’il décrit dans ses romans, il répondait : « Très peu. La littérature peut très peu de choses. Et pourtant, elle est bigrement importante. » Ce fabuleux paradoxe s’étend à la question politique : Roth est un romancier qui ne songeait qu’à son art et qui, pourtant, a raconté mieux que personne les dérives politiques de l’Amérique, des années 1940 à l’après-11 Septembre. 

Comment définir ce paradoxe ?

Le point de vue de l’écrivain est rarement celui du lecteur. Nous, lecteurs, voyons souvent des choses que l’écrivain n’a pas nécessairement eu l’intention de mettre dans ses fictions. Par ailleurs, Roth a beaucoup évolué, tout au long de sa vie d’écrivain. Comme pour Picasso, on peut parler de périodes successives :

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