C’est une saga qui s’est jouée en trois actes. Et dont l’ampleur a dépassé tous les pronostics. En six mois, des créateurs de vidéos sur Internet ont réussi à sensibiliser des millions de leurs fans à l’écologie.

Tout commence début juin 2018. Quelques youtubeurs et youtubeuses engagés se demandent comment mobiliser pour le climat. Parmi eux, Vincent Verzat, de la chaîne « Partager c’est sympa », qui incite à l’engagement citoyen : « En tant que créateurs de contenu, on passe notre temps à se renseigner. On est donc particulièrement conscients de ce qui se joue sur l’environnement », explique le vidéaste de 28 ans. Leur idée, encore floue : créer une vidéo collective, où chacun appellerait son audience respective à s’engager pour la planète. « On avait l’envie et on avait cet outil de diffusion extrêmement puissant qu’est le Web, où tout peut se faire très vite », se souvient Magali Payen, jeune professionnelle des médias, qui accueille la réunion chez elle.

Sujet inflammable

L’été passe, amenant une nouvelle canicule, un nouveau rapport alarmiste du GIEC… et la démission de Nicolas Hulot. « Entendre un ministre d’État avouer son impuissance, ça nous a indignés. On ne pouvait plus attendre », s’emporte Vincent Verzat. Très vite, avec dix-huit autres youtubeurs, ils réalisent et mettent en ligne l’acte I de la mobilisation : la vidéo « Il est encore temps ». Après un rappel accablant sur l’état du climat, ils y proposent aux internautes des actions simples : réduire ses déchets, signer une pétition contre une gigantesque mine d’or en Guyane ou « tordre le bras à la Société générale » en raison de ses investissements dans des projets polluants.

En quelques jours, relayée par ces youtubeurs engagés, la vidéo engrange 10 millions de vues. Près de 180 000 internautes – majoritairement des jeunes – s’inscrivent pour mener des actions à leur échelle. « C’était déjà un très gros succès, se souvient Elliot Lepers, activiste écologiste et professionnel de la mobilisation Web embarqué dans l’aventure. Et à l’époque il s’agissait uniquement de vidéastes déjà engagés, qui n’avaient pas à craindre de fâcher leur audience. »

Car les idoles du Web ont une communauté à chouchouter : 11 millions d’amateurs d’humour pour Norman sur YouTube, 4,6 millions de fans mode et beauté pour EnjoyPhoenix sur Instagram… Des admirateurs qui attendent leurs vidéos comme des cadeaux, leur assurent des revenus via les retombées publicitaires, mais peuvent aussi se désabonner si une vidéo les bouscule trop ! « Pour ces créateurs-là, tout sujet politique est inflammable. Ils ont peur d’être manipulés, de se tromper, de cliver », poursuit Elliot Lepers.

Conversion écologique

Cette fois pourtant, encouragés par le succès de la première vidéo et cornaqués par une équipe de bénévoles et d’experts, des mastodontes de la galaxie Web se sont engagés. Début novembre, à l’acte II de la saga, ils sont plusieurs dizaines à lancer la campagne « On est prêts », qui fixe un défi écolo par jour : réparer au lieu de jeter, refuser d’acheter du neuf, préférer la gourde aux bouteilles d’eau… Norman, lui, propose d’interpeller les maires pour exiger des repas végétariens ou « locavores » dans les cantines. « Ça a permis de toucher des gens qu’on ne touche pas d’habitude, des jeunes qui ne regardent plus la télé et s’informent uniquement sur les réseaux sociaux », rappelle Magali Payen, chef d’orchestre de l’opération.

En cumulant tous les réseaux sociaux, la campagne est vue plusieurs dizaines de millions de fois, essentiellement par des moins de 35 ans. « Ma grand-mère, qui vit en Auvergne, est soignée par une jeune femme. Un jour celle-ci lui dit : “Votre petite-fille, elle va diminuer la viande, je l’ai vue dans une vidéo” », s’amuse la comédienne Juliette Tresanini, l’une des participantes, qui se voit comme une grande sœur pour sa communauté, « quelqu’un dont on écoute les conseils parce qu’on la trouve cool ».

« Avec ces campagnes, beaucoup de youtubeurs ont pu faire leur coming-out écologique, assure Elliot Lepers. On est en train de gagner une bataille culturelle : ça devient classe d’être à l’avant-garde sur ce sujet ! » Ainsi, EnjoyPhoenix a annoncé qu’elle refusait désormais, en réaction au gaspillage, d’être inondée de produits par des marques qui attendent d’elle qu’elle en parle dans ses vidéos. L’humoriste Max Bird, lui, a lancé depuis sa chaîne la vidéo contre le projet de mine d’or en Guyane : « Certains se sont désabonnés, c’est la vie. Je n’ai jamais traité de politique, je veux conserver ce côté grand public. Mais tenir un discours écolo, ce n’est pas de la politique, c’est de la survie ! »

Contradictions

Comme toutes les stars engagées avant eux en faveur des Restos du cœur, du Téléthon ou de la lutte contre le sida, ces nouveaux porte-étendard de la cause écolo ont évidemment leurs contradictions. Ainsi la vidéaste Natoo qui, peu après son apparition dans la campagne, a participé à un vol en avion de chasse organisé par une marque de téléphone. « On ne peut pas choisir que des écolos parfaits pour porte-parole, se défend Elliot Lepers. Le but n’est pas de faire du greenwashing, mais d’être inclusif : on ne cache rien et on progresse tous ensemble. »

L’acte III, le 18 décembre, frappe encore plus fort. Aux côtés de Juliette Binoche ou de Marion Cotillard, des stars du Web comme les humoristes McFly et Carlito appellent à attaquer l’État français en justice « pour inaction face au dérèglement climatique ». C’est « L’Affaire du siècle », portée par quatre associations écologiques. Elle deviendra la pétition la plus massive de l’histoire du pays, avec plus de 2 millions de signataires.

Les stars du Web vont-elles donc sauver la planète ? Mathieu Duméry, alias Professeur Feuillage sur YouTube, reste sceptique : « En participant une fois à la campagne, Norman a sans doute fait plus de bien à l’écologie que cinquante de nos vidéos de vulgarisation scientifique – et je n’ai pas de problème avec ça. Mais il y avait cent fois plus de monde aux obsèques de Johnny que lors de la dernière marche pour le climat ! » Comme d’autres vidéastes, il est convaincu que l’urgence environnementale exige des actions plus radicales. Les plus engagés des créateurs Web attendent l’acte IV. 

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