La démocratie américaine est protégée par sa Constitution, les Pères fondateurs l’ont voulu ainsi. La Constitution est le document qui fonde la nation. En théorie, elle est au cœur du contrat social et protège les citoyens contre toute dérive autoritaire. Beaucoup de politistes considèrent que, par sa nature même, ce texte – très court – présente une plasticité telle qu’elle permet au pays de s’adapter à des situations très difficiles. La preuve en est, selon eux, que la république des États-Unis n’a jamais changé de texte fondateur, contrairement à la française qui a dû le faire à plusieurs reprises à cause de crises institutionnelles.

Mais la Constitution américaine contient-elle des éléments pouvant faciliter sa subversion ? Les Pères fondateurs avaient tout fait pour empêcher la moindre dérive tyrannique grâce à la séparation des pouvoirs et au système dit des checks and balances (les « poids et contrepoids »). Il est néanmoins possible de jouer avec la signification des articles en raison précisément de leur plasticité, et chaque camp s’accuse de « subvertir » le texte original. Les conservateurs défendent l’idée d’une lecture « originelle » de la Constitution, se limitant à sa lettre la plus stricte. Pour le dire brutalement, ils estiment que les Pères fondateurs n’auraient jamais accepté la sécurité sociale ou le mariage homosexuel. Les progressistes en ont, eux, une lecture plus souple, qui s’adapte au gré des circonstances.

« Dans le passé, on a souvent cherché à amender les institutions, en vain. »

Mais une institution détient la clé de son interprétation : la Cour suprême, qui est au sommet du pouvoir judiciaire aux États-Unis et qui a toujours été fortement politisée. À la fin du xixe siècle, elle n’hésita ainsi pas à légitimer la ségrégation au nom d’un principe fallacieux selon lequel les individus étaient certes séparés mais égaux. Soixante ans plus tard, elle se dédit et permit alors la victoire du mouvement pour les droits civiques. Son revirement récent sur l’avortement annonce ainsi un mouvement de balancier similaire, dans un sens conservateur cette fois.

Cette plasticité est-elle pour autant une assurance qui garantit au pays d’échapper à toute subversion de ses institutions ? L’histoire des États-Unis a démontré que la polarisation pouvait entraîner la désunion et la guerre civile. En 1860, au moment de l’arrivée au pouvoir d’Abraham Lincoln, les États du Sud refusèrent tout compromis et firent sécession, provoquant la première grande guerre moderne. Si les institutions sont fragilisées, et si une partie du peuple n’accepte ni le résultat ni la transition démocratique, dès lors, il ne reste que la violence ou le rejet de ces mêmes institutions.

Dans le passé, on a souvent cherché à amender les institutions, en vain. Roosevelt voulait par exemple en finir avec le mandat à vie des juges nommés à la Cour suprême pour le limiter dans le temps ; il dut finalement y renoncer. Biden a également proposé une telle réforme, en sachant qu’elle n’aurait aucune chance d’aboutir. Mais certaines aberrations démocratiques, comme le système des grands électeurs, sont de plus en plus dénoncées : en 2016, Hillary Clinton l’a emporté au niveau du vote populaire, avec presque 3 millions de voix d’avance sur son adversaire, mais elle a perdu l’élection en raison de ce système du collège électoral. Aujourd’hui, beaucoup d’Américains savent que leur vote n’est guère utile car l’élection est déjà pliée dans la grande majorité des États ; elle va se jouer dans une dizaine d’autres, dont les électeurs et électrices ont de la sorte une voix bien plus cruciale que celle de leurs concitoyens. 60 % des Américains se disent aujourd’hui favorable à une abolition de ce système électoral. Une mobilisation dans ce sens pourrait changer la donne et enclencher un mouvement vers de profondes réformes institutionnelles. 

 

Conversation avec Lou Héliot

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