C’est une réalité qu’on ne peut oublier ni minimiser. Au lendemain de la guerre et de ses « jours sans » – une période qui s’étala en réalité de 1939 à 1949 –, la famine lente, la malnutrition, les cartes d’alimentation et les billets de rationnement étaient encore le quotidien des Français. Il fallut deux coups de baguette magique pour retourner la tendance et voir s’installer l’abondance. D’abord la motorisation. Les « petits gris » du plan Marshall (1948), ces tracteurs qui remplacèrent les bœufs aux cornes emboulées tirant les charrues. Et la chimie, sous-produit de l’industrie militaire, qui fut réorientée vers l’agriculture, comme l’explique le professeur de toxicologie et de biochimie Xavier Coumoul à Hélène Seingier. En éradiquant les ravageurs et en protégeant les récoltes des maladies les plus menaçantes, ces molécules furent « pain bénit » pour sortir des longues années de disette et permettre à la quasi-totalité de la population de manger à sa faim. Ce n’est pas un maigre bénéfice. Et lorsque la France, fille aînée de l’Europe agricole, devint un des principaux exportateurs mondiaux de céréales, notre blé et notre lait faisant avantageusement peser notre balance commerciale du bon côté (les céréaliers calculaient la valeur de leurs ventes en équivalent Airbus), c’est grâce aux insecticides, herbicides et fongicides que le « miracle » eut lieu.

Le mot d’ordre était de produire, pas de protéger.

L’époque était placée sous le signe des rendements et du productivisme. Les agriculteurs étaient poussés à produire toujours plus, quitte à s’endetter, entrant dans une spirale infernale qui les obligeait à grossir sous peine de disparaître. La quantité l’emportait sur la qualité. Le mot d’ordre était de produire, pas de protéger. Ni de se protéger. Et comme le précise encore le professeur Coumoul : « Personne ne s’est demandé quelle contamination environnementale – et donc de l’être humain – ces produits [phytosanitaires] allaient engendrer. »

C’est cette question, entre autres, que pose ce numéro du 1. À travers une minutieuse enquête de terrain, et des analyses en profondeur, on en vient à se demander pourquoi des produits aux effets si dangereux pour la santé sont mis en circulation, avec peu d’autres contrôleurs que ceux qui les produisent, et bénéficient d’un jeu d’influence funeste entre les lobbies agrochimiques et le pouvoir. Pourtant, affirme le sénateur du Morbihan Joël Labbé, sortir des pesticides est à notre portée. Mais combien de victimes encore avant cette utopie du possible ? 

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