Qu’est-ce qu’un pesticide ?

Un pesticide est une substance qui agit sur les organismes vivants en les détruisant, les contrôlant ou les repoussant. On distingue les insecticides (qui agissent sur les insectes), les herbicides (sur les plantes) et les fongicides (sur les champignons). Au-delà de l’agriculture, un pesticide peut avoir des usages vétérinaires, comme un antipuce, ou domestiques, comme un antifourmi.

On recense dans le monde une centaine de familles chimiques de pesticides, qui se déclinent en 1 000 substances environ, elles-mêmes commercialisées sous 10 000 marques commerciales.

Pourquoi ont-ils connu un tel succès ?

Ils ont bénéficié d’une sorte de recommercialisation : à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, des industriels qui avaient vendu des produits chimiques pour les guerres ont réorienté leur offre vers l’agriculture.

Ces molécules ont eu un énorme succès, car elles ont permis d’éradiquer des ravageurs et de contenir des maladies comme le mildiou ou la tavelure de la pomme. Ils ont donc permis d’augmenter les rendements agricoles alors qu’on sortait de la guerre et qu’il fallait nourrir la population. Mais personne ne s’est demandé quelle contamination environnementale – et donc de l’être humain – ces produits allaient engendrer.

Les pesticides agissent-ils seulement sur l’organisme visé ?

Non. Quasiment toutes les molécules ont des mécanismes d’action non spécifique : elles agissent sur l’organisme ciblé mais aussi sur beaucoup d’autres. L’herbicide glyphosate, par exemple, cible une molécule présente chez les végétaux mais que les cellules humaines n’expriment pas. C’est un argument de vente majeur : « Il n’y a pas de “cible” chez l’être humain, donc c’est probablement inoffensif. » Mais on a découvert que la molécule ciblée par le glyphosate était en fait exprimée par certains composants du microbiote intestinal des humains.

« Le risque dépend à la fois du danger et de l’exposition »

Les insecticides, eux, ciblent des animaux. Certes, il y a des différences entre notre organisme et celui des insectes, mais nous avons des modes de fonctionnement communs. Les pyréthrinoïdes, par exemple, ciblent le système nerveux des insectes, et particulièrement des molécules qui se sont très bien conservées dans l’évolution entre l’insecte et l’humain. Ces pesticides peuvent donc cibler des molécules de notre système nerveux. D’où un risque de contamination humaine si nous y sommes trop exposés.

Une notion est importante ici : le risque dépend à la fois du danger et de l’exposition. Un lion est dangereux, certes, mais s’il est enfermé dans une cage, le risque est limité. À moins que vous ne vous exposiez trop, en entrant dans la cage. Pour les produits chimiques, c’est pareil : quasiment toutes les molécules sont dangereuses. La question est de savoir si on y est « assez » exposé pour développer une pathologie.

Qui est exposé aux pesticides et par quelles voies ?

La contamination de l’environnement est généralisée. 100 % de la population générale a, dans son organisme, des niveaux détectables d’au moins une famille de pesticides. Les agriculteurs sont principalement exposés par voies cutanée et respiratoire. Les populations qui vivent dans des zones d’épandage sont surtout exposées par voie respiratoire. Quant à la population générale, son exposition passe plutôt par l’alimentation.

Par ailleurs, 80 % des masses d’eaux souterraines sont contaminées aux pesticides et plus de 25 % dépassent le seuil de qualité. C’est un vrai problème. Bien que les eaux soient traitées avant distribution, 10 % des habitants consomment, à un moment dans l’année, une eau non conforme en termes de présence de pesticides – même si présence ne veut pas dire toxicité.

« L’expertise de 2021 apporte des éléments nouveaux très inquiétants au sujet des enfants, qui ont un système de détoxification moins développé que les adultes »

On y détecte également des métabolites de pesticides, c’est-à-dire une forme transformée des produits. Un champignon, par exemple, va absorber le pesticide puis le rejeter sous une forme « dégradée ». La toxicité de ces métabolites est mal connue.

L’effet cocktail représente une autre inconnue : même si chacun de ces produits est présent en quantité infime dans l’environnement, nous ignorons quel peut être leur effet combiné.

Y a-t-il des résidus de pesticides dans les fruits et légumes ?

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a testé près de 5 000 items alimentaires. 63 % des fruits, 43 % des légumes et 52 % des céréales contenaient des résidus de pesticides. Là encore, nous sommes potentiellement tous concernés. Si vous consommez toujours le même produit, dans lequel on trouve des résidus de pesticides, votre exposition peut être assez forte.

Qu’ont établi les expertises collectives de l’Inserm sur les liens entre exposition aux pesticides et santé humaine ?

En 2013, chez les adultes du monde agricole, nous avons établi une présomption forte de lien avec la maladie de Parkinson, le cancer de la prostate – surtout en cas d’exposition au chlordécone –, le lymphome non hodgkinien, qui est un cancer des ganglions et le myélome multiple.

L’expertise de 2021 a confirmé ces constats et ajouté deux pathologies : des troubles cognitifs chez l’adulte en cas d’exposition professionnelle, principalement aux organophosphorés – on parle ici de l’intelligence ou de la capacité d’attention – et des pathologies respiratoires comme des bronchites chroniques en cas d’exposition professionnelle aux pesticides, sans distinction.

Les enfants sont-ils aussi susceptibles de développer des pathologies ?

L’expertise de 2021 apporte des éléments nouveaux très inquiétants au sujet des enfants. Ils ont un système de détoxification moins développé que les adultes – leur foie, par exemple, n’est pas encore mature. En cas d’exposition professionnelle des parents aux pesticides pendant la période prénatale, il y a une augmentation de l’incidence des tumeurs du système nerveux central chez l’enfant. Le niveau de preuve est également fort entre l’exposition domestique aux pesticides et un cancer du sang, la leucémie aiguë myéloïde. Des troubles neurologiques sont aussi observés en cas d’exposition professionnelle pendant la grossesse pour deux familles d’insecticides : des troubles de l’anxiété avec les pyréthrinoïdes et une altération de plusieurs capacités (motrices, sensorielles, cognitives) avec les organophosphorés. Chez les adultes, des niveaux de preuve moyens associent les pesticides et la maladie d’Alzheimer, ainsi que le cancer du sein pour les femmes dont les mères ont été exposées au DDT. Enfin, des études commencent à émerger sur le lien entre l’exposition aux pesticides et les troubles de la thyroïde, ainsi que l’endométriose.

Les effets sur les riverains sont-ils moins étudiés que ceux sur les professionnels ?

À ce stade, oui. Mais vu le niveau d’exposition dans certaines cours d’école ou dans certains lotissements, et vu la préoccupation grandissante dans la population, des études commencent à être lancées. Comme Pestiriv, qui s’intéresse aux riverains des zones viticoles.

La toxicité des produits est-elle testée avant leur mise sur le marché ?

Lorsqu’un fabricant souhaite mettre un pesticide sur le marché, il doit procéder à des tests, très encadrés, pour garantir que son produit n’a pas de conséquences sur la santé humaine. Il envoie ensuite les résultats à des agences, par exemple l’Efsa, l’Agence européenne de sécurité des aliments, qui se prononcent sur la mise sur le marché.

Pourquoi confier aux industriels la charge de tester leurs propres produits ?

Je me pose régulièrement cette question. Cela sort un peu de mon expertise de toxicologue. Ça peut être une façon de faire peser le coût de la commercialisation sur les industriels. Mais c’est vrai qu’on pourrait imaginer, à la place, que l’industriel finance une agence indépendante pour contrôler ses produits.

En réalité, il y a plein de trous dans la raquette au niveau réglementaire. Les tests imposés par la réglementation ne couvrent pas tout. Ils ne recherchent pas spécifiquement, par le biais de tests dédiés, les effets des pesticides sur des maladies métaboliques comme l’obésité ou le diabète, ni sur Alzheimer ou Parkinson, ni sur la formation des métastases par exemple, laquelle concerne pourtant 90 % des morts par cancer.

C’est pour ces raisons de méthode qu’il existe parfois des résultats contradictoires pour le même produit. Concernant le glyphosate, par exemple, les études conduites par le fabricant et validées par l’Efsa ont conclu qu’il n’était pas cancérigène. Le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) de Lyon a mené des recherches de son côté et a conclu que le glyphosate était un « cancérigène probable ». Cet institut a, notamment, testé le produit sur le poisson-zèbre, ce qui n’entre pas dans le protocole de l’Efsa. À méthodologie différente, résultat différent. Mais qui croire ? Comment se positionner ? Ces résultats devraient être davantage discutés et expliqués.

Quelles inquiétudes suscitent les SDHI, ces fongicides fortement utilisés depuis quelques années ?

Les SDHI ont pour principe d’inhiber un élément essentiel de la respiration des cellules chez les champignons. Le problème, pour la santé humaine, c’est que la molécule qu’ils ciblent a été très bien conservée dans l’évolution entre le champignon et l’être humain. Cela veut dire que ces pesticides pourraient avoir un effet sur l’humain.

« On pourrait sanctuariser les écoles, ne plus utiliser du tout de pesticides domestiques »

On connaît potentiellement cet effet car certaines personnes présentent déjà cette même inhibition de la respiration des cellules, pour des raisons génétiques. Et ces patients développent des cancers.

Utiliser des pesticides qui ont le même mécanisme d’action pourrait avoir le même impact en matière de maladies graves. Nous manquons de données à ce jour, mais le résultat pourrait se révéler catastrophique dans dix ou vingt ans.

Quelles retombées a eues la parution de vos expertises ?

Elles ont suscité un grand intérêt des médias et du public. Après, la traduction en mesures politiques n’est pas toujours simple. Cela dit, les débats sur l’interdiction des pesticides chez les particuliers et dans les espaces verts sont en partie une conséquence de l’expertise de 2013.

Quelles mesures prendre pour protéger les populations ?

Il faudrait préserver les personnes les plus vulnérables, comme les enfants, les personnes âgées ou les malades du foie. On pourrait sanctuariser les écoles, ne plus utiliser du tout de pesticides domestiques, éviter de faire des cueillettes dans les champs cultivés en conventionnel… Il faudrait aussi réfléchir au modèle agricole, mais en responsabilisant toute la chaîne. On sait par exemple que le gaspillage alimentaire concerne 30 % des denrées – cela veut dire qu’une partie des pesticides agricoles est répandue pour rien. 

Propos recueillis par HÉLÈNE SEINGIER

 

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