Le travail forcé sur les bateaux de pêche chinois

Alors que la consommation de fruits de mer augmente partout dans le monde, la Chine s’est imposée ces dernières années comme le leader mondial de la pêche en haute mer. Avec ses 6 500 bateaux, elle fournit le monde entier en calmars – au détriment des océans, des règles internationales et des droits de l’homme. 

Ian Urbina et son équipe ont ainsi découvert que près de la moitié des navires chinois affectés à la pêche au calmar avaient enfreint certains droits de l’homme ou de l’environnement : confiscation des passeports des travailleurs, captivité, servitude pour dette, violences physiques, malnutrition et refus de soin à bord, menant parfois à la mort par négligence de membres de l’équipage. De nombreux cas de béribéri – une maladie proche du scorbut causée par une carence en vitamine B1 – ont été recensés. À cela s’ajoutent les faits de pêche illégale : incursions dans des eaux étrangères, en particulier au large de l’Amérique latine, pêche d’espèces protégées, non-respect des quotas… 

Mais les abus ne s’arrêtent pas là. Les produits de la mer pêchés sur ces bateaux vont ensuite être transformés par des entreprises chinoises qui sont elles-mêmes coupables de nombreuses violations. The Outlaw Ocean Project a ainsi mis en lumière les conditions dégradantes que subissent, dans certaines usines, des travailleurs forcés, membres de minorités ethniques comme les Ouïghours ou migrants venus de Corée du Nord. 

Ces produits sont ensuite vendus dans les grandes surfaces du monde entier. Même si de nombreux pays, dont les États-Unis, prohibent l’import de fruits de mer conditionnés par les principales entreprises chinoises, il est dans les faits presque impossible de tracer la provenance de ces aliments et d’obtenir des données fiables sur ce qui se passe à bord des bateaux. Malgré les interdictions, ces produits du travail forcé sont consommés dans le monde entier, depuis les cantines scolaires américaines jusqu’aux cafétérias de nombreuses institutions publiques d’Europe. 

 

L’Afrique dépouillée de ses poissons

Gunjur, 15 000 habitants, est une ville de pêcheurs située sur la côte atlantique de la Gambie. Elle comporte également une immense réserve naturelle, qui abrite des plages, mangroves et lagons, et de nombreuses espèces protégées. Un jour, le lagon devient rougeâtre. Des milliers de poissons morts flottent à sa surface. Des prélèvements montrent que l’eau contient des niveaux anormalement élevés d’arsenic, de phosphate et de nitrate. En cause : une usine chinoise de transformation de poisson, qui a illégalement largué ses déchets dans l’eau. Comme beaucoup d’autres, cette usine a été construite sur les côtes africaines pour répondre à la demande croissante de farine de poisson – une poudre obtenue par la cuisson et la pulvérisation de petits poissons qu’on utilise pour nourrir les poissons d’élevage. En 2017, la Chine a annulé une importante dette de la Gambie et investi plusieurs millions dans le développement de ces usines sur la côte. 

Le volume de poissons qui transite par ces installations dépasse l’entendement : 7 500 tonnes par an pour une seule usine. Il s’agit essentiellement d’un petit poisson de la famille des harengs et sardines, le bonga, particulièrement prisé dans la région. 

Pour les pêcheurs des environs, dont la plupart opèrent à la main à bord de pirogues, c’est une catastrophe. Désormais, ce sont des centaines de navires, légaux ou non, qui sillonnent leurs côtes, décimant les stocks et ruinant l’économie locale. C’est une catastrophe également pour la population, le bonga représentant la moitié de ses apports en protéines.

Accusant l’usine de piller les ressources et de polluer les côtes, une centaine d’habitants de Gunjur se sont réunis sur la plage pour détruire l’une des canalisations par lesquelles l’entreprise rejette ses déchets dans la mer. Deux mois plus tard, cette infrastructure était reconstruite, avec l’approbation du gouvernement.

 

En Inde, l’enfer des crevettes 

2,7 kilos par an. C’est la quantité moyenne de crevettes dévorée par les Américains chaque année. Une quantité qui a doublé en l’espace d’une génération. Jusqu’à récemment, la Thaïlande fournissait l’essentiel de cette denrée à l’Occident, jusqu’à ce que des journalistes révèlent en 2015 que des migrants birmans, essentiellement des femmes, étaient retenus dans des conditions proches de l’esclavage dans les usines d’épluchage. Depuis ce scandale qui a mené l’Occident à ne plus s’approvisionner en Thaïlande, l’Inde a pris le relais.

En 2021, elle a fourni aux marchés internationaux pour plus de 5 milliards de dollars de crevettes, soit près d’un quart des exportations mondiales. Les conditions de production n’y sont toutefois pas meilleures qu’en Thaïlande. Un lanceur d’alerte a dévoilé au Outlaw Ocean Project le fonctionnement d’une usine de conditionnement de crevettes non loin d’Amalapuram, dans le sud-est du pays. Un complexe de 3,2 hectares, entouré d’un haut mur de béton, est chargé de livrer chaque mois le quota de quarante conteneurs exigé par le siège, soit plus de 600 tonnes de crevettes. Pour ce faire, l’usine fonctionne nuit et jour, grâce à des travailleurs, souvent des femmes, recrutés dans les régions les plus pauvres du pays. Beaucoup d’entre eux sont analphabètes. Ils sont logés sur place, dans le plus grand dénuement et n’ont que rarement le droit de sortir du complexe. 

Quant aux crevettes, élevées dans des fermes alentour, elles respectent rarement les normes d’hygiène. Différents contrôles ont relevé une odeur de pourriture, des mouches, de la boue, des réfrigérateurs cassés, des machines contaminées par des algues et des champignons, des poils et des taches noires sur les crevettes et un crachoir rempli de tabac à mâcher à proximité des crustacés. La plupart de ces crevettes ont également été traitées aux antibiotiques, ce qui n’empêche pas l’usine de leur apposer l’étiquette « 100 % naturel ». 

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