Né à Brooklyn, John Montague grandit en Irlande, entre bruyères et fougères. Enfant, il chatouillait les poissons des tourbières pour mieux les attraper. La Truite est un poème d’amour, expliqua-t-il... Oubliez la marée des supermarchés. Partons pêcher ! 

À plat ventre sur la berge j’écartai 
Les joncs pour enfoncer mes mains
Dans l’eau sans y faire une ride,
Les incliner doucement dans le courant
Jusqu’à elle, aussi légère qu’une feuille,
Toute à son rêve fluide et sensuel.

Seigneur incorporel de la création,
Un instant je me tins au-dessus d’elle
Savourant ma propre absence
Mes sens se dilatant au ralenti,
Dans le calme photographique
Qui monte à l’instant d’agir.

Et lorsque la courbe de mes mains
Passa d’un coup sous son corps,
Elle se cabra avec un plaisir visible,
J’étais surnaturellement proche,
Je pouvais compter chaque tacheture
Mais ne projetais toujours aucune ombre.

Puis mes deux paumes firent une cage
Sous les ouïes légèrement palpitantes.
Alors (entrant dans ma propre forme
Allongée, qui chevauchait le courant)
Je serrai. Et aujourd’hui encore
J’ai le goût de sa terreur sur les mains.

Anthologie bilingue de la poésie anglaise, Pléiade, Gallimard, 2005
© The Gallery Press © Gérard Gâcon, pour la traduction française

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