Le Sierra était un baleinier pirate qui avait illégalement tué près de 25 000 baleines. Son modus operandi était de harponner toutes les baleines qui croisaient sa route, indépendamment de l’espèce, du sexe, de l’âge ou de la taille. Il tuait sans tenir compte de la saison ni d’aucune loi et règle de chasse. Par souci d’économie, les baleines étaient le plus souvent harponnées « à froid », sans tête explosive sur le harpon, ce qui prolongeait énormément leur agonie. Il était devenu la cible prioritaire de tout le mouvement anti-baleinier. Tous s’accordaient sur le fait qu’il fallait l’arrêter, mais personne n’y était parvenu. Le Sierra continuait à sillonner les mers du globe et à tuer les baleines par milliers. Et les protestations des écologistes n’y changeaient rien. 

Tous s’accordaient sur le fait qu’il fallait l’arrêter, mais personne n’y était parvenu

J’étais fatigué des bavardages stériles. En 1977, j’ai commencé à préparer un plan pour mettre le Sierra définitivement hors d’état de nuire. Greenpeace était à l’époque sur le point d’envoyer l’Ohana Kai à la ferraille. Je leur ai proposé 1 dollar symbolique pour le récupérer en leur disant que j’avais l’intention de l’utiliser pour emboutir la rampe arrière du Sierra, celle par laquelle ils hissaient les baleines à bord. Ils ont refusé de me laisser le navire, mon plan était trop violent pour eux. Je n’avais pas un centime en poche, j’ai donc écrit à toutes les associations que je connaissais. Le seul dont j’ai reçu une réponse a été Cleveland Amory, le fondateur et président du Fonds pour les animaux, basé à New York. Bien que l’affaire lui semblât risquée, Cleveland s’est laissé convaincre. Il voulait la peau du Sierra autant que moi. Il m’a permis d’acquérir un ancien chalutier britannique de 60 mètres, le Westella. Ce bateau était suffisamment solide pour l’usage que je voulais en faire. Le 5 décembre 1978, soit trois jours après mon vingt-huitième anniversaire, je l’ai rebaptisé Sea Shepherd : c’était le premier navire de l’Histoire à être exclusivement dédié à la défense de la vie marine. […]

Je ne voulais rien faire qui puisse risquer de blesser quelqu’un

Je suis parvenu à repérer approximativement le Sierra par moi-même. Il se trouvait dans l’Atlantique, quelque part entre le golfe de Gascogne et les côtes africaines. Nous étions sur sa trace, non loin des côtes portugaises, quand nous avons croisé la route de tortues luth. J’ai décidé de stopper les moteurs pour ne pas les blesser. On s’est mis à l’eau et on a nagé avec elles pendant des heures. C’était incroyable, il y en avait partout, elles étaient des milliers. Je n’avais jamais rien vu de tel et je n’ai jamais revu cela depuis. On n’est reparti que six heures plus tard. Le lendemain, vers midi, j’ai vu un navire au loin. En nous approchant, il s’est avéré ressembler à un navire baleinier. Puis le « S » sur la coque est devenu visible : c’était le Sierra. Il se dirigeait au sud et nous allions vers l’est. Si nous n’avions pas rencontré les tortues, nous l’aurions raté. On s’est dirigé vers eux à toute vitesse. Ils avaient entendu parler de nous et dès qu’ils nous ont vus, ils ont pris la fuite. Nous étions à 200 milles des côtes portugaises et ils se dirigeaient vers la côte pour chercher la protection des navires militaires. Nous étions un peu plus rapides qu’eux et les avons rattrapés sans trop de mal. Mais la mer était démontée et je ne voulais rien faire qui puisse risquer de blesser quelqu’un, donc on s’est contenté de les suivre à la trace jusqu’au port de Porto. Ils étaient rentrés au port sûrement pour prendre des instructions et le jour suivant, ils étaient prêts à repartir. J’ai alors demandé au pilote l’autorisation de quitter le port, mais on nous a répondu qu’on ne pouvait pas partir avant la fin de l’après-midi. Ils tentaient manifestement d’aider le Sierra à nous échapper. 

J’ai réuni mon équipage – nous étions vingt personnes a bord – et je leur ai dit : « Je ne peux pas vous promettre que vous ne serez pas blessés ou même pire, mais en tout cas vous serez certainement arrêtés parce que je vais éperonner ces salopards ici, à la sortie du port. Ceux qui veulent descendre, c’est maintenant. » Dix minutes plus tard, dix-sept d’entre eux étaient sur le quai avec leurs bagages. Seuls Peter Woof et Jerry Doran sont restés avec moi. Par chance, ils étaient tous deux mécanos. C’était tout ce dont j’avais besoin. On a coupé les lignes d’amarrage et on est sorti du port à pleins gaz, fonçant sur le Sierra qui s’éloignait. Je l’ai percuté à l’avant pour avoir toute son attention et pour détruire son harpon. Puis on s’est retourné à trois cent soixante degrés et on l’a percuté sur le côté à quinze nœuds. Sa coque s’est fissurée au-dessus de sa ligne de flottaison. Il est retourné vers le port tandis qu’on s’éloignait en direction de l’Angleterre. Mais quelques heures plus tard, un destroyer portugais était à nos trousses et nous ordonnait de le suivre au port en nous menaçant de nous tirer dessus si on ne s’exécutait pas.  

Extrait du livre de Lamya Essemlali, Capitaine Paul Watson, entretien avec un pirate, repris dans Paul Watson, Sea Shepherd, le combat d’une vie © Glénat, 2012 et 2017

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