Quelles questions éthiques le traitement contre l’infertilité soulève-t-il ? 

L’infertilité soulève de nombreuses questions. À mes yeux, le principal risque – à la fois clinique et éthique – est de trop ramener l’enfant aux conditions de sa procréation. Certains parents dont l’enfant est né grâce à une FIV autologue, c’est-à-dire réalisée avec leurs propres gamètes, se présentent comme étant « stériles ». Or, s’ils ont réussi à avoir un enfant, cela signifie qu’ils ne le sont plus. D’où vient la persistance d’une telle représentation ? De l’existence d’une assistance ? Pourquoi restent-ils pris dans cette causalité ? Est-ce le fait qu’ils ont vécu leur infertilité comme un interdit de procréer ? Ce type de biais concerne également certains psychiatres qui cherchent à tout expliquer par le prisme de l’infertilité, qui devient une sorte de piège de la causalité. Comme s’il y avait des lois dans la nature qui seraient bonnes et qu’il s’agirait de respecter. On pense que si l’on force la nature, on transgresse. Cette idée est sous-jacente aux débats éthiques autour du traitement de l’infertilité. Cela génère une souffrance chez les parents.

Quels types de manifestations psychiques la PMA peut-elle provoquer chez les parents ? 

Chez l’homme par exemple, l’injection intra-cytoplasmique de spermatozoïde (ICSI) est parfois vécue comme une insémination artificielle par donneur. J’ai reçu un père qui avait fantasmé toute une histoire autour de la biologiste en charge de réaliser l’injection de son spermatozoïde. Il l’imaginait dans son laboratoire, en pleine conversation téléphonique avec son amant. Distraite, elle sélectionnait n’importe quel spermatozoïde. Peut-être aurait-elle même pu se tromper d’échantillon et injecter celui d’un autre homme dans l’ovule de sa femme. Dans son fantasme, cet homme réintroduit le doute sur la paternité. Sur le plan clinique, sociétal et anthropologique, cela montrerait que pour s’installer, la fonction paternelle a besoin de rétablir le père comme incertain. Car l’ICSI, contrairement à une procréation classique, garantit pleinement un père certain. Chez la femme, on observe parfois une fantaisie parthénogénétique : certaines fantasment le processus, faisant comme si elles avaient fabriqué leur enfant toute seule. Comme cette patiente qui parle de « notre spermatozoïde » ou de cette autre qui dit : « Je n’y serais jamais arrivée sans l’aide de mon mari ! »

Dans votre livre La Fabrication des enfants, vous racontez qu’une femme, parvenue à tomber enceinte après six ans de traitement contre l’infertilité, a finalement décidé d’avorter. Comment l’expliquez-vous ?

Il existe une différence entre désirer, vouloir et devoir. Le désir est ambivalent, il court, il nous surprend. Vouloir, c’est autre chose. Parfois, à trop vouloir à tout prix, le désir n’y est plus. Et l’on finit par se dire que la possibilité induit le devoir. Il est important de savoir discerner ces trois registres. 

Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) s’est prononcé contre la conservation ovocytaire pour les femmes en bonne santé. Pourquoi ?

Je crois qu’existe une crainte qu’on encourage ce type de pratique, qui pourrait aller vers des grossesses plus tardives, ou que cela soit utilisé dans le monde du travail pour introduire des délais par rapport aux grossesses. Mais l’on pourrait voir une contradiction entre le fait de pouvoir conserver si l’on doit subir un traitement qui met en péril la fertilité, et le fait de ne pas pouvoir conserver si l’on est en bonne santé. Les avis du CCNE ne sont pas inscrits dans le marbre. Un avis minoritaire s’est d’ailleurs prononcé pour, tout comme l’Académie de médecine. Un manifeste important de 130 médecins s’est aussi montré favorable à ce type de pratique (Le Monde, 18 mars 2016). Bref, tout cela est en mouvement. On verra ce qui va en résulter dans les débats actuels autour de la révision des lois de bioéthique. 

La cryoconservation des embryons, inhérente à la FIV, pose-t-elle de son côté un problème éthique particulier ?

Elle pose la question des embryons surnuméraires et de leur implantation. En Suisse par exemple, au bout d’un certain temps, les géniteurs reçoivent une lettre leur demandant s’ils souhaitent les implanter ou les détruire. On les met alors face à un dilemme déchirant : d’un côté, ces embryons sont présentés comme des restes procréatifs, que l’on peut donc détruire, mais, de l’autre, on affirme qu’ils ne peuvent pas être conservés car ce sont potentiellement des enfants. Souvent, les géniteurs ne répondent pas à cette lettre. La décision est trop difficile à prendre. La destruction des embryons tracasse aussi les professionnels de la PMA. Dans un centre de médecine de la reproduction avec lequel j’ai collaboré, les biologistes ne supportaient pas la destruction des embryons. Ils organisaient même des petites cérémonies et se recueillaient pour accompagner le départ de cette vie potentielle. 

La congélation des gamètes – ovocytes et spermatozoïdes – est-elle éthiquement moins problématique ? 

Elle peut poser une question majeure dans le cas où l’un des géniteurs est décédé. Faut-il ou non maintenir le projet procréatif en donnant accès à ses gamètes ? Aujourd’hui, la procréation posthume n’est pas envisagée, mais certains ont déjà tenté de récupérer les gamètes de leur conjoint décédé. Dans le cas d’une personne mourante, la question est d’autant plus délicate car la loi n’interdit pas le projet d’enfant. Doit-on rendre possible la naissance d’un enfant qui sera orphelin prématurément ? C’est très compliqué. On peut très vite être projeté aux frontières de ce qu’on n’arrive pas à penser.

Les institutions françaises sont-elles en retard par rapport à la société ?

Les représentations, l’éthique et le droit sont toujours en retard sur la réalité. Le monde de la procréation change plus vite que notre capacité à nous le représenter, à le penser et à l’encadrer. 

Je ressens une contradiction entre la clinique d’un côté, où l’on fait face aux situations les plus variées et étranges, et l’éthique de l’autre. Faire face et programmer sont deux choses différentes. Je crois que ces questions sont à traiter au cas par cas. Ce que je vis dans ma clinique est toujours singulier, unique et surprenant. Le « pour tous » des débats éthiques est différent : il peut angoisser le clinicien !

En consultation, vous recevez des enfants issus de PMA. Présentent-ils des souffrances particulières ?

Encore une fois, cela dépend de la position des parents. La PMA ne pose pas de problème à l’enfant en soi, c’est le tabou qui l’entoure qui peut éventuellement peser sur l’enfant. Ma première mission comme pédopsychiatre, comme psychanalyste, est de remettre l’enfant en position de s’inventer lui-même et de sortir d’un système de causalité. Chaque enfant s’invente à partir d’une contingence qui est celle de sa venue au monde. Il va tisser ses antécédents et les rejouer, les articuler, écrire un récit de sa vie. Bien sûr, l’enfant se pose des questions sur son origine. Il a des théories sexuelles infantiles. Il serait conçu par l’oreille, sorti par le nombril. Toutes ces théories court-circuitent le sexe. Donc fantasmatiquement, tout enfant est issu d’une PMA ! Cette explication lui va beaucoup mieux que l’explication sexuelle. Au moment des lois sur la PMA, des journalistes avaient interviewé un enfant : « Que penses-tu du fait d’être né d’une PMA? » Il avait répondu : « Content d’être là. » 

Propos recueillis par MANON PAULIC

 

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