Le bio ne serait qu’un truc de bobo. Avec son lot d’ayatollahs verts intolérants à tout, en plus de l’être au gluten. Qu’en est-il exactement ? Tentons de remettre les pieds sur terre.

État des lieux

L’agriculture est aujourd’hui responsable de 14 % des émissions de gaz à effet de serre. Et sept calories énergétiques sont nécessaires pour produire une calorie alimentaire. Pour compléter ce tableau, l’acheminement des denrées alimentaires pèse aussi lourdement dans la balance. Entre la terre et l’assiette, on estime que la distance parcourue par un aliment acheté dans un supermarché européen est en moyenne de 2 400 kilomètres. Sans parler des 18 % de gaz à effet de serre liés à l’élevage et des 19 % dus à la déforestation. Comme l’observe Marie-Monique Robin, journaliste : « On contribue au réchauffement climatique quand on ne mange ni bio ni local. »

Perspective historique et labels

Avant la Seconde Guerre mondiale, toute l’agriculture était bio en France (les intrants issus de la chimie de synthèse n’existaient pas ou très peu). La Bio est née dans les années 1960 à une époque où l’agriculture traditionnelle, peu productive, a laissé place à une agriculture intensive tournée vers l’exportation. Le paysan cultivateur s’est progressivement transformé en agriculteur, puis en exploitant agricole dans les années 1970, et en agro-manager dans les années 1990, avant de devenir agro-moléculteur (producteur de molécules) à partir de l’an 2000. C’est dans ce contexte que des producteurs, vétérinaires et ingénieurs agronomes se sont mobilisés pour préserver une agriculture sans chimie et définir les règles d’une agronomie durable. 

Le bio apparaît, lui, dans les années 1990. Son cahier des charges européen (la feuille verte) pose seulement un cadre : il introduit une certification, autorise 0,9 % d’OGM dans la composition des produits et tolère même que 5 % des ingrédients soient d’origine chimique. « Saviez-vous qu’il serait possible de créer l’équivalent de la ferme industrielle des Mille vaches en bio sans déroger à la réglementation européenne du bio ? » demande Claude Gruffat, président du réseau Biocoop, qui vient de publier Les Dessous de l’alimentation bio aux éditions La Mer salée. « Quel est le sens de cette nouvelle forme d’agriculture intensive, dite bio, qui ne prend pas en compte les conditions de travail des paysans et génère de la souffrance animale par des modes de production de masse ? » Claude Gruffat regrette que ce label européen ne garantisse pas une agriculture soutenable. Le label AB, pour sa part, « ne dit rien de plus que le logo européen. Il n’a pas d’intérêt particulier dans le paysage aujourd’hui », juge-t-il. Bref, il vaudrait mieux se fier au label Bio Cohérence, créé en 2009 : « Bio Cohérence est l’approche la plus poussée et globale aujourd’hui en matière d’agriculture biologique : la certitude d’acheter des produits 100 % bio (contre 95 % d’ingrédients bio pour le label européen), respectueux d’un certain nombre de critères comme le rythme de la vie des animaux, des plantes. Cela garantit aussi que l’agriculteur ne recourt pas à des travailleurs détachés. »

Le hic, c’est qu’il n’y a pas encore de marché pour ce niveau d’engagement et que le logo AB est maintenant bien identifié par les consommateurs. Notons aussi l’existence de « Demeter » (le label de la biodynamie, dont l’approche est soucieuse de la vie du sol) et de « Nature & Progrès » (le label historique de la Bio, qui respecte les fondamentaux d’une agronomie durable telle que défendue par la permaculture).

Le bio ou la Bio, deux notions différentes

On cultive plus en France pour nourrir les bêtes que pour nourrir les hommes et la vraie question est celle de l’autonomie alimentaire. Pour Claude Gruffat, il est temps de choisir : « Entre le modèle agricole dominant, reposant sur la mécanisation et la chimie de synthèse, sous perfusion des États, et le modèle agricole paysan de la Bio, chacun de nous doit prendre conscience que ses achats contribuent et renforcent un modèle de société ou un autre. » Il insiste fortement sur la différence entre le système de valeurs porté par la Bio et le label bio. « Si les enseignes bio se développent rapidement en France, si les consommateurs sont de plus en plus nombreux à plébisciter les produits bio, le risque d’un bio industriel, hors-sol, de faible qualité nutritive, est bien réel », relève-t-il, tout en étant désireux qu’une alimentation saine et bio devienne la norme pour tous. 

Pour lui, la Bio est un projet de société qui porte une cohérence globale sur toute la chaîne de valeurs. Elle garantit « une vision de la place de l’humain et de son empreinte sur la planète, une vision du lien entre les acteurs d’une filière de la fourche à la fourchette, une vision de la consommation responsable », affirme-t-il en insistant sur ces différences essentielles pour ne pas retomber dans une production de masse aux multiples coûts (social, environnemental et humain). Si le bio, porté par un règlement, un label et des obligations de moyens, se doit de respecter un cahier des charges, il ne se préoccupe pas de la relation homme-animal, ni des conditions de travail du paysan, ni de la santé des sols. « C’est une approche réglementaire et non systémique », résume cet ancien conseiller agricole, lui-même fils de paysans.

Les semences

Les paysans ont toujours ressemé leurs graines d’une année sur l’autre mais cette pratique a été rendue difficile par le développement de l’agriculture conventionnelle et des graines hybrides, dont la particularité est de ne pas repousser. De fait, les paysans deviennent dépendants des semences qu’ils doivent racheter car les variétés hybrides sont travaillées en laboratoire de manière artificielle afin de produire en quantité. Pour quelle qualité ? « Il faut aujourd’hui manger huit pommes pour retrouver autant de nutriments que dans une pomme de 1960. Donald Davis, chercheur à l’Institut biochimique de l’université du Texas, a aussi prouvé que la totalité des légumes ont perdu entre 50 et 80 % de leurs vitamines et minéraux ! » rappelle Claude  Gruffat. Sans compter le risque lié aux nouvelles formes d’OGM et aux cultures hors-sol qui arrivent aujourd’hui sur le marché.

Les circuits de distribution

Dans son manifeste pour les circuits courts lancé début octobre, le réseau La Ruche qui dit oui revient sur l’importance prise par ceux-ci. « Avec cette proximité, les liens de confiance se construisent autrement », témoigne en ce sens Jérôme Orvain, paysan bio dans la Creuse. Sur son exploitation de 90 hectares, il produit un peu de céréales, mais surtout des œufs, du fromage de chèvre et de la viande bovine et porcine qu’il vend directement. Pour lui, « la confiance des consommateurs vaut plus qu’un label. À partir du moment où l’exploitation est ouverte au public et où il y a une transparence de la pratique, c’est le rapport humain qui prime ». Que pense-t-il des révélations de France 3 sur la présence de pesticides dans des carottes bio vendues dans l’enseigne Bio c’ Bon ? « Le bio n’exempte pas de la présence de pesticides, et il suffit qu’elles aient été lavées avec une eau non contrôlée ou qu’il y ait des résidus dans les terres pour que cela arrive », remarque Jérôme Orvain. Il note que « ce type de problème survient régulièrement en Italie : des produits parfaitement bio atterrissent pollués dans l’assiette, si bien que les consommateurs demandent actuellement une certification pour toute la chaîne ! »

Le juste prix

Pour les grandes marques et les chaînes de distribution plus larges, l’expérience montre qu’en dépit de la méfiance, le prix reste une variable clé. « Le juste prix pour le consommateur n’est pas le prix le plus bas (qui est nécessairement un prix de court terme), mais le prix qui lui permet d’avoir un produit de qualité longtemps », indique Claude Gruffat. Et si la hausse de la consommation bio prouve à elle seule que cela n’est plus « un truc de bobo », il demeure que les prix diffèrent d’une région à l’autre. « Les fromages que je vends chez moi 2,50 euros peuvent se vendre 6 à 7 euros à Paris ou Bordeaux. Idem pour la viande de veau : pour une caissette, le différentiel peut atteindre 5 euros. Je pourrais gagner plus en écoulant toute ma marchandise dans les grandes villes, mais je veux que ma production soit disponible pour mes voisins », insiste Jérôme Orvain, reconnaissant là un choix militant.

« La Bio n’est pas une religion, mais un fait économique ! », résume pour sa part Claude Gruffat. À Bruxelles, le budget des lobbies phytosanitaires est le plus important : 12 millions d’euros par an. Sans doute pour empêcher que le bio ne finisse vraiment, un jour, par épouser la Bio. 

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