Que change, sur le plan psychologique, le fait d’être en télétravail et non au bureau ?

Nous avons, dans notre identité, un rôle construit à la maison – celui de mari, de femme, de parent… – et un rôle professionnel. La frontière entre les deux est physique mais aussi émotionnelle, relationnelle et temporelle. Or, avec le télétravail et le confinement, les enveloppes s’entremêlent. Nous sommes forcés de faire cohabiter ces rôles d’une nouvelle façon, sans avoir les outils pour cela. Les personnes avec enfants, surtout en bas âge, peuvent être interrompues en permanence, tandis que les célibataires risquent de ne plus arriver à décrocher, à déconnecter.

En plein cœur du confinement, mes nouvelles demandes de consultation étaient associées au télétravail. Il s’agissait de personnes seules ou en famille monoparentale, qui ne pouvaient plus incarner leurs différents rôles.

Il faut donc reconstituer cette frontière ?

Il est fondamental de réajuster les frontières pour pratiquer le télétravail à long terme. Définir des horaires pour le travail mais aussi conserver des codes : prendre une douche, s’habiller – certains se mettent en costume, pour activer leur identité professionnelle. Il faut délimiter un espace également : si le canapé symbolise la détente, ne le cannibalisez pas avec le travail ! Physiquement, la place est libre, mais psychiquement elle est occupée. Idem pour la chambre, espace intime du couple.

Ceux qui vivent dans un studio peuvent transformer l’espace temporairement, en dissimulant les affaires personnelles. Imaginez que votre chef puisse débarquer dans la pièce, voulez-vous vraiment laisser traîner cette culotte ? Et quand on arrête de travailler, on va « délooker » l’espace : fermer l’ordinateur, ranger les affaires de travail, faire réapparaître de quoi prendre l’apéritif ou se faire les ongles… Il faut symboliser les coupures. Si on y arrive, alors on peut profiter des avantages du télétravail.

D’autres conseils pour mieux vivre cette situation ?

Il faut accepter que les frontières soient perméables : il y aura nécessairement des imprévus, des frustrations, comme un enfant qui débarque en pleine visioconférence. Anticiper les scénarios catastrophe permet de gérer le stress lorsque les problèmes surviennent. Enfin, je conseille de privilégier la qualité à la quantité. Tant pis si la vaisselle n’est pas faite, prenez le temps d’un jeu avec les enfants une fois votre travail terminé ! C’est particulièrement important avec le télétravail, où tous les temps se superposent.

Quels sont les risques si on ne met pas cela en place ?

Lorsque la frontière n’est pas structurée, il peut y avoir des troubles du sommeil, des troubles alimentaires et toutes les somatisations, notamment sur la peau. Mais aussi tous les troubles anxio-dépressifs ou musculo-squelettiques liés au stress : mal au dos, au cou, dans les lombaires...

Cela peut aller jusqu’au burn-out, car le télétravail favorise certains de ses « ingrédients » : une charge de travail continue et permanente ; un collectif de travail qui ne joue pas ou plus son rôle protecteur ; un manque de moyens pour réaliser ce qui est demandé (pas le temps, pas la bonne connexion, pas le bon ordinateur…) ; et, enfin, un dysfonctionnement au niveau de la hiérarchie. Si vous avez ces quatre ingrédients, associés à un profil de salarié très investi dans son travail, vous allez droit dedans. La personne va s’épuiser jusqu’au bout pour donner du sens et préserver la qualité de son travail, malgré tout.

Le contact avec les collègues est-il remplaçable par des mails et des appels ?

C’est là qu’on atteint les limites du télétravail. Toute activité professionnelle inclut une immense part d’informel, sans que cela soit pensé dans l’organisation du travail : ce sont les ajustements, les imprévus, tout ce que nous intégrons en permanence pour mener à bien notre travail. On va réaliser à la machine à café que tel collègue est débordé et cela va nous inciter à revoir le planning, à confier la tâche à quelqu’un d’autre… Or le télétravail ne permet pas de capter ces informations informelles. La visioconférence permet d’en récupérer certaines : on perçoit le langage non verbal, les expressions du visage, c’est essentiel. Mais cela ne suffit pas.

Y a-t-il aussi des troubles physiques associés au télétravail ?

En télétravail, tout se fait sur écran, y compris les réunions. Il faut donc accorder des pauses à ses yeux et à l’ensemble des muscles, au moins toutes les deux heures. Se lever, marcher, regarder le plus loin possible… et non se jeter sur son téléphone portable ! La position assise aussi pose problème. Travailler affalé sur le canapé impose des contraintes à de nombreuses parties du corps ; cela provoque une sensation de lourdeur en fin de journée.

D’un point de vue ergonomique, il faut être assis le plus droit possible, avec l’écran d’ordinateur à hauteur des yeux mais le clavier à hauteur des coudes. C’est donc impossible avec un ordinateur portable. À terme, les entreprises qui veulent généraliser le télétravail vont devoir équiper leurs salariés, avec des claviers détachables par exemple. Et les médecins du travail vont devoir s’adapter à la généralisation du télétravail. 

 

Propos recueillis par HÉLÈNE SEINGIER

 

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