Après de longues semaines de confinement, la réouverture a vu apparaître, chez beaucoup, une nostalgie du calme qui leur avait été accordé par ces semaines de télétravail – ou de chômage partiel. Plus d’heures perdues dans les embouteillages, plus de métros bondés aux heures de pointe, plus de cantine avec les collègues, enfin du temps pour soi. Mais ce tableau idyllique du confinement fait abstraction des inégalités entre hommes et femmes devant le télétravail.

D’abord, les femmes occupent la majorité des emplois qui ne peuvent pas être exercés à distance. La quasi-totalité des aides à domicile sont des femmes, 87 % du personnel infirmier, 91 % des aides-soignants, 76 % des caissiers et des vendeurs, 73 % des agents d’entretien… L’immense majorité de ces métiers de service, que l’on appelle métiers du care parce qu’ils consistent à prendre soin des autres, sont occupés par des femmes. Le confinement a jeté une lumière crue sur ce que les travaux féministes pointent depuis longtemps : la vie et l’indépendance des hommes et des femmes des classes moyennes et aisées sont rendues possibles par le travail sous-payé, sous-déclaré, sous-protégé de femmes majoritairement pauvres et non blanches. Pendant que nous télétravaillons, il faut bien que les hôpitaux, les Ehpad, les supermarchés fonctionnent, et cela n’est possible que grâce au travail invisible et dévalorisé de ces femmes.

Mais, même lorsque les femmes occupent des emplois qui permettent le télétravail, les inégalités avec les hommes sont criantes. Le télétravail renforce la division genrée du travail : pour les femmes, il entraîne, tel qu’il a eu lieu ces dernières semaines, une augmentation du travail à fournir. Selon une étude récente, 63 % des femmes en couple font toutes les tâches liées aux repas, de la conception aux courses, en passant par la cuisine et la vaisselle. Pour ces femmes-là ou pour les mères isolées, la fermeture des écoles et des cantines a entraîné une augmentation considérable du temps ménager : entre les repas à préparer et l’école à la maison, les journées de travail se sont étalées jusqu’à tard dans la nuit. On comprend mieux pourquoi les femmes, déjà en minorité d’habitude, ont presque complètement disparu de l’espace médiatique ces dernières semaines. On aurait pu penser que le temps gagné par les hommes conduirait ceux-ci à prendre davantage part aux obligations domestiques – cela n’a pas été le cas, au contraire. Mais il ne faut pas croire que cela s’explique par les spécificités du confinement. Une étude de la fondation Hans-Böckler, menée à partir d’un panel de 30 000 couples allemands de 2003 à 2016, montrait déjà que la flexibilité du travail et le télétravail, hors pandémie, ont tendance à renforcer les normes de genre : les hommes consacrent moins de temps à leurs enfants et au travail domestique dans ces conditions, les femmes davantage.

Ensuite, le télétravail conduit, en pratique, à un repli sur la sphère privée. Les femmes se sont battues pour échapper aux tâches répétitives et dévalorisées de la vie domestique, pour avoir une chambre à soi et cinq cents guinées – les conditions nécessaires de la liberté pour Virginia Woolf. Or le télétravail, qui peut s’apparenter pour les hommes à un répit, est souvent pour les femmes un retour en arrière. Travailler depuis la maison signifie non seulement davantage de travail domestique, mais aussi, pour certaines, être enfermées, sans répit, avec un conjoint violent. Si développer le télétravail peut permettre d’atténuer les contraintes du salariat, il faut impérativement se soucier des conditions matérielles de sa réalisation et s’assurer qu’elles ne mettront pas en danger les acquis de la lutte féministe ni les femmes elles-mêmes. 

 

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