Portland, 1993. Jeune orphelin difficile, Jesse doit effectuer des travaux d’intérêt général dans un parc d’attractions. Il y rencontre Willy, une orque en captivité avec qui il va développer un lien unique. Sensible à la douleur de l’animal, Jesse parvient à libérer l’orque, qui rejoint sa famille et disparaît au large dans l’océan Pacifique. Tel est le happy end du film Sauvez Willy, succès mondial qui a rapporté plus de 153 millions de dollars au box-office.

Cette belle histoire cache une réalité tout autre. L’animal qui incarne Willy à l’écran s’appelle en réalité Keiko, « le chanceux » en japonais. Née en 1976, cette orque mâle a été capturée au large des côtes islandaises à l’âge de 3 ans. Après quelques années de captivité passées dans un aquarium islandais, Keiko est expédié dans un parc d’attractions au Mexique, où ses conditions de vie sont délétères. Malgré sa mauvaise santé, il devient rapidement la coqueluche du parc. Le public raffole de ses pirouettes. Repéré en 1991 par les studios Warner Bros, il devient le héros de Sauvez Willy, et la belle histoire de l’orque libérée émeut les enfants du monde entier. Mais si Willy retourne à la vie sauvage, Keiko, lui, est renvoyé dans son parc d’attractions à Mexico, où il est contraint de reprendre ses acrobaties. Son bassin en béton est exigu. L’eau est trop chaude pour un mammifère d’Islande. Sa peau se couvre de lésions. On craint pour sa vie.

Plus d’un million de personnes – dont beaucoup d’enfants – signent alors une pétition pour la remise en liberté de Keiko et parviennent à réunir 7 millions de dollars pour lui aménager un bassin plus adapté, dans l’Oregon, en attendant de le relâcher. Keiko doit en effet réapprendre la vie sauvage avant de pouvoir regagner l’océan. Après dix-neuf ans de captivité, le cétacé de près de cinq tonnes a perdu tous ses instincts de chasseur. Habitué au poisson surgelé, il ne sait plus se nourrir seul. Il faudra trois ans d’entraînement avant que les vétérinaires ne l’estiment enfin prêt à regagner ses eaux natales, une première mondiale.

En 2002, Keiko est relâché en Islande, à proximité d’autres épaulards. À l’aide d’un GPS fixé sur sa nageoire dorsale, les scientifiques et le grand public suivent avec enthousiasme sa progression. Mais la libération de Keiko ne se passe pas comme prévu. L’orque ne parvient pas à s’intégrer au groupe et ne cesse de revenir vers les humains. Les scientifiques décident alors de couper tout contact, interdisant aux touristes comme aux bateaux de s’approcher d’elle. Ces mesures sont visiblement efficaces. Keiko finit par suivre ses congénères. Il prend le large et l’on perd sa trace. Mais le succès est de courte durée. Moins d’un mois plus tard, l’orque refait surface en Norvège. Il s’approche des bateaux, recherche la compagnie des baigneurs, laisse même des enfants monter sur son dos. Rapidement, sa santé se détériore. Le 12 décembre 2003, une pneumonie le terrasse, moins de deux ans après sa tentative de retour à l’état sauvage.

Keiko n’est pas un cas isolé. Depuis les années 1960, plus de cent cinquante orques à travers le monde sont mortes victimes de l’industrie du spectacle d’animaux vivants. À ce jour, on estime qu’elles sont encore une soixantaine à vivre en captivité. Cependant, l’histoire très médiatisée de Keiko a permis de mettre en lumière leurs conditions de vie inacceptables, et de nombreux pays ont enfin pris des mesures pour les protéger. L’an passé en France, l’Assemblée nationale a ainsi voté l’interdiction de « détenir des cétacés à des fins de spectacles » pour 2022. Que vont devenir les quatre orques du Marineland d’Antibes ? Le destin de Keiko a montré à quel point il est difficile de relâcher dans leur habitat naturel des animaux restés longtemps captifs. Aujourd’hui, on explore plutôt la piste d’une « semi-liberté », dans des sanctuaires en pleine mer. 

LOU HÉLIOT

 

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