Satao, l’éléphant sans défenses
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Il n’était pas le dernier de son espèce, mais sans doute son représentant le plus emblématique. Pendant près d’un demi-siècle, Satao a promené sa silhouette imposante à travers les terres arides du parc national de Tsavo East, dans le sud du Kenya. Figure iconique de la faune locale, apprécié des visiteurs du parc, Satao était le plus massif des big tuskers, ces pachydermes géants aux défenses si longues qu’elles en viennent à racler le sol. Les siennes, longues de deux mètres, lourdes de 45 kilos chacune, étaient telles qu’elles l’empêchaient généralement de s’allonger pour dormir. Alors les rangers du parc l’observaient souvent s’appuyer contre une termitière pour pouvoir se reposer.
Né à la fin des années 1960, Satao, comme Cecil, le célèbre lion du Zimbabwe, vivait dans un espace naturel protégé, mais une protection somme toute relative : avec l’âge, le pachyderme avait commencé à s’aventurer dans des territoires nouveaux, couvrant un espace de près de 1 000 km2 à la végétation dense, difficile à surveiller par les responsables du parc. Au début du printemps 2014 déjà, Satao avait été retrouvé avec deux blessures sérieuses au flanc, causées par des flèches empoisonnées. Une stratégie des braconniers, hélas, bien rodée : attaquer l’animal sans un bruit, attendre que le poison fasse effet puis, une fois l’agonie entamée, se jeter sur la bête pour scier ses défenses, souvent alors même que la victime est encore vivante. Satao, cette fois, leur avait échappé, malgré la douleur, avant d’être soigné par des vétérinaires dépêchés sur place. Mais le 2 juin, une carcasse d’éléphant géant est découverte dans une mare près des limites du parc. La mort de l’animal remontait à quelques jours déjà. Ses défenses avaient été prélevées, sa tête affreusement mutilée jusqu’à ne plus être reconnaissable. Pendant dix jours, les rangers sillonnèrent le parc pour retrouver Satao, en vain. Il fallut se rendre à l’évidence : l’éléphant le plus célèbre d’Afrique avait été à son tour victime du braconnage et du trafic d’ivoire. « Une grande vie a été perdue pour que quelqu’un dans un pays lointain puisse avoir un trophée sur le manteau de sa cheminée », dénoncèrent alors les responsables du parc de Tsavo dans un communiqué amer.
La mort de Satao n’aura eu qu’un mérite, celui de relancer le débat sur le commerce de l’ivoire, principal facteur du déclin des populations de pachydermes en Afrique. Car si la chasse à l’éléphant a été interdite dès les années 1970 au Kenya, la vente d’ivoire, elle, perdure, profitant de législations ambiguës, dans lesquelles braconniers et trafiquants s’engouffrent en faisant passer l’ivoire vendu comme vieux de plusieurs décennies ou prélevé sur des animaux déjà morts, par exemple. Un mensonge qui ne coûte pas cher au vu des sommes engagées : l’ivoire s’écoule à près de 1 000 euros le kilo et alimente un marché estimé à 20 milliards de dollars par an, principalement à destination de l’Asie. Depuis 2016, plusieurs pays dont la France, mais aussi les États-Unis, le Royaume-Uni ou la Chine, ont décidé une interdiction totale du commerce d’ivoire d’éléphants ou de rhinocéros. Une avancée salutaire mais tardive dans la lutte contre l’extinction des géants de la savane : alors que le continent africain ne compte plus que 400 000 éléphants, contre 12 millions il y a un siècle, près de 20 000 d’entre eux sont encore massacrés pour leur ivoire chaque année, soit un toutes les demi-heures. Quant aux big tuskers, il n’en subsiste plus qu’une vingtaine sur la planète, dont la moitié dans le parc de Tsavo. Un de ses spécimens avait d’ailleurs été baptisé « Satao II ». Il ne survécut que trois ans à son glorieux prédécesseur : en 2017, il a été retrouvé mort, abattu à son tour par une flèche empoisonnée. Ses défenses, cette fois, n’avaient pas encore été prélevées.
J.B.
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