De la vôtre je ne parle pas,
je parle de la fin des hiboux.
Je parle de la baleine et du turbot
dans leur sombre demeure,
de la mer aux sept mers,
des glaciers
qui trop tôt mettront bas,
du pigeon et du corbeau, témoins ailés,
de tout ce qui dans les airs vit,
et des forêts et des lichens sur les cailloux,
des terres vierges même et des marécages
et des montagnes nues :
 
Pour la dernière fois signalés
sur les radars, évalués
sur les tables de calcul,
par les antennes détectés :
marais de Floride et glaces de Sibérie,
pris dans l’étau des réseaux d’alerte,
cernés par les dernières manœuvres,
animaux, roseaux et schistes,
innocents, écrasés par des arches de flammes
dans le tic-tac de l’heure H. 
 
Nous sommes déjà oubliés.
Ne vous souciez pas des orphelins,
chassez de votre esprit
tout sentiment pupillaire,
gloire et psaumes inoxydables.
Je ne parle plus de vous,
faiseurs d’actes pour rien,
ni de moi, ni d’aucun.
Je parle de ce qui ne parle pas,
des muets témoins,
des loutres et des phoques,
des vieux hiboux de la terre.

 

Poésies, traduit par Roger Pillaudin © Éditions Gallimard, 1966

Poème proposé par LOUIS CHEVAILLIER et illustré par JONATHAN BLEZARD

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