Connectez-vous sur Instagram et prenez le temps de naviguer sur des comptes d’influenceuses beauté. Vous y trouverez, par milliers, des clichés étroitement cadrés sur un œil maquillé, une bouche aux lèvres rouges parfaitement ourlées, ou une main aux ongles peints avec un soin infini. De nos jours, la beauté est devenue synonyme d’ultraprécision, et se maquiller un travail du microdétail assumé. Dans Jewish Matchmaking, la dernière téléréalité de Netflix dans laquelle de jeunes Juifs recherchent, avec l’aide d’une entremetteuse professionnelle, leur âme sœur, une candidate exige, face caméra, que les sourcils de son futur époux soient « aussi beaux que les [s]iens ».

L’apparition des écrans dans nos vies explique en grande partie ce phénomène, mais celui-ci s’inscrit dans une histoire plus longue, quoique relativement récente. Jusqu’au tournant du XXe siècle, la plupart des gens n’avaient qu’une vague idée de leur propre apparence physique. Trois inventions sont alors venues modifier considérablement notre rapport à nous-mêmes, à quelques décennies d’intervalle. D’abord, la démocratisation du miroir, jusqu’alors réservé aux élites. Les milieux populaires ne se contentent plus d’un minuscule accessoire de mauvaise qualité acheté auprès du colporteur. Le miroir est introduit dans toutes les chambres à coucher, puis dans toutes les salles de bains. À la même époque, l’arrivée de l’éclairage électrique dans les foyers permet de se scruter avec encore plus de précision et de prêter davantage d’attention aux couleurs. Enfin, l’accès au portrait photographique finit de modifier profondément le rapport à soi, causant parfois un véritable choc psychologique. Le grand photographe Nadar raconte que certains clients refusaient leur portrait ou le confondaient avec celui d’un autre. Beaucoup demandent à être embellis, et la retouche constitue rapidement une part considérable du travail des studios. Le « nouveau Narcisse » est né, selon l’expression de l’ethnologue Élisabeth Azoulay. Mais il n’a pas dit

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