Pour quelles raisons un pays s’endette-t-il ?

La dette publique trouve son origine dans le déficit public : si l’État dépense plus qu’il ne gagne, il doit s’endetter. Les déficits peuvent eux-mêmes avoir plusieurs origines. D’abord, la conjoncture économique : une récession réduit l’emploi et les revenus, donc aussi les impôts et cotisations prélevés par l’État, alors qu’en même temps les dépenses sociales (liées par exemple au chômage) augmentent. C’est arrivé brutalement en 2008-2009. Ensuite,l’augmentation décidée politiquement des dépenses (salaires ou emplois publics, investissements…). Mais cela n’arrive quasiment plus avec le néolibéralisme depuis les années 1980. Enfin, la baisse des recettes résultant d’une volonté politique (exonérations, niches fiscales…). Ce mécanisme a été décisif dans les années 2000. Outre les déficits qui créent la dette, celle-ci peut également gonfler si les taux d’intérêt payés par l’État sont trop importants (c’est-à-dire supérieurs au taux de croissance de l’économie). Ce mécanisme a joué fortement dans les années 1990, au moment de la création de l’euro. 

Quels sont généralement les organismes qui acceptent de prêter et pourquoi ?

Les créanciers des États sont surtout des grands investisseurs institutionnels (banques, compagnies d’assurance, fonds de pension, fonds souverains) qui recherchent pour leur clientèle des placements sécurisés, à rendement faible le plus souvent. Cependant on ne connaît pas précisément l’identité des créanciers de la France, couverte par le secret bancaire, même si on sait que deux tiers sont des non-résidents.

La dette grecque représente 175 % de son PIB. Quel est le niveau maximal supportable par un pays ?

Il n’y a pas de niveau maximal en soi : tout dépend des conditions du refinancement de la dette. La dette publique du Japon est colossale (220 % du PIB) mais ne pose pour l’instant pas de problème de financement, car les ménages japonais achètent plus de 90 % des bons du Trésor, et non les investisseurs internationaux. La dette publique de la Russie, elle, est très faible (12 % du PIB), mais du fait de la crise, le déficit public explose. En 2015 la Russie va probablement devoir emprunter à l’étranger à des taux très élevés.

Quelles seraient les conséquences pour la Grèce et pour la zone euro si Athènes décidait de ne pas rembourser sa dette ?

Tout dépend de la réaction de la troïka (BCE, Commission, FMI). La BCE est en première ligne. Elle peut refuser toute renégociation de la dette ou subordonner cette renégociation au maintien des politiques d’austérité budgétaire. Cela revient à expulser la Grèce de la zone euro, sauf si Syriza se plie au chantage. Mais elle peut aussi accepter une restructuration de la dette grecque sans conditionnalité budgétaire, pour que le gouvernement grec puisse mener sa politique de relance. La BCE dit que c’est juridiquement impossible, mais l’Irlande lui a imposé quelque chose de très similaire en 2013… 

La politique d’austérité menée ces dernières années en Grèce était-elle nécessaire ?

Les résultats de cette politique dispensent de tout commentaire superflu : la dette, le chômage, les inégalités ont explosé. La croissance n’est pas revenue. Non seulement cette politique était absurde, mais elle était criminelle : elle a provoqué un effondrement de la santé publique (suicides, sida, mortalité infantile et adulte…). Les responsables de ces politiques, en particulier ceux de la BCE, de la Commission et du Conseil européens, devraient être poursuivis non seulement pour incompétence économique, mais aussi pour crimes contre l’humanité. Ils ne pourront pas plaider l’ignorance, car de nombreuses études scientifiques avaient déjà démontré l’impact désastreux du démantèlement des systèmes de santé publique.

Quelles politiques auraient dû être menées ?

Face à l’ampleur de la crise budgétaire et sociale, il fallait bien sûr des politiques rigoureuses : réduction drastique des dépenses militaires (la Grèce détient le record d’Europe en pourcentage du PIB) et de la corruption, réforme fiscale faisant enfin payer les contribuables aisés, l’Église orthodoxe et les armateurs. Mais il fallait surtout maintenir les filets de la protection sociale et accroître les investissements publics, en particulier dans la transition énergétique où la Grèce est très en retard.

Que feriez-vous à la place du gouvernement nouvellement élu ?

Outre les mesures d’urgence annoncées et en voie d’application, il faudrait lancer un plan de transition énergétique et d’investissement social de grande ampleur, fondé sur l’appui aux initiatives citoyennes et locales décentralisées. La Grèce doit résister au bras de fer que vont lui imposer les instances européennes. Elle doit imposer une restructuration de sa dette qui lui permette de relancer son économie. Pour tenir, elle doit mener des politiques économiques innovantes (par exemple recourir à une monnaie interne complémentaire à l’euro pour relancer l’activité locale). Elle doit aussi rechercher l’appui des forces sociales progressistes dans le reste de l’Europe, à commencer par l’Espagne où l’élection de cet automne aura une importance décisive. Mener un audit citoyen des dettes publiques européennes serait une initiative importante pour gagner le soutien des opinions publiques.

L’adhésion de la Grèce à l’Europe et à la zone euro est-elle pour quelque chose dans ces événements ?

Bien sûr, l’excès d’endettement privé et public de la Grèce dans les années 2000 a été grandement facilité par la cécité des prêteurs, banquiers et financiers européens : aveuglés par leur croyance en la convergence automatique des pays de la zone euro, ils ont prêté à la Grèce sans compter, aux mêmes taux très bas qu’à l’Allemagne ou la France. Ce n’est pas pour exonérer les élites grecques de leurs responsabilités : mais le surendettement résulte d’erreurs commises à la fois par les emprunteurs et les prêteurs. Tous ont été irresponsables, mais jusqu’à présent seuls les Grecs des classes populaires ont payé. Expulser la Grèce de la zone euro serait leur faire payer encore plus les pots cassés d’une crise où ils ne sont pas pour grand-chose, leur seul tort étant d’avoir trop longtemps fait confiance à des dirigeants cupides et irresponsables. 

 

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