Un vieux proverbe persan affirme : « l’or est la monnaie des rois, l’argent celle des marchands, la dette est la monnaie des pauvres »… L’histoire est parsemée d’États en difficulté qui doivent financer les déficits de leurs budgets et, ensuite, gérer les problèmes créés par la dette. Par exemple, Athènes, dirigée par Solon, connaît une crise de la dette en 594 av. J.-C. Dans l’Antiquité, les crises de la dette se terminent toujours, après des batailles épiques entre créanciers et débiteurs, de l’une des deux façons suivantes : soit les riches réussissent à préserver leurs créances et les débiteurs restent dans la pauvreté, réduits en esclavage pour rembourser leurs dettes ; soit, à l’opposé, les mouvements sociaux déclenchés par les débiteurs conduisent les détenteurs du pouvoir politique à procéder à une redistribution des terres et à édicter des garanties contre l’esclavage pour dettes afin de rétablir l’ordre social. Solon décide ainsi d’interdire la mise en esclavage de citoyens athéniens pour cause de dettes et dévalue la drachme de 25 %. Ce législateur, dans son poème Au peuple d’Athènes, affirme par ailleurs très clairement que la dangereuse crise d’endettement qui menace de détruire le pays n’est pas le fait d’une population ayant vécu au-dessus de ses moyens, mais bien la conséquence de la perversité de ses gouvernants. 

Les six grandes banqueroutes des finances de l’Empire espagnol

La crise des finances la plus éclatante est celle que connaît l’Espagne au cours du « Siglo de Oro ». Deux empereurs, père et fils, Charles Quint et Philippe II, promeuvent l’expansion politique et militaire du pays, au point qu’on les qualifie d’impresarios, « d’entrepreneurs », de la guerre. Une partie des financements de ces opérations proviennent des mines d’argent du Mexique et du Pérou. Mais les flux de capitaux ne sont pas suffisants pour couvrir les montagnes de dépenses militaires. Le budget demeure d’une façon permanente dans le rouge. Certains banquiers allemands, comme les Fugger, les Welser ou les Höchstetter, et – ensuite – de gros banquiers génois financent les déficits et la dette du pays. Ils anticipent les paiements en échange du revenu d’impôts levés plus tard et du débarquement à Séville des galions chargés d’argent américain. Charles Quint arrive même à émettre des bons du trésor que l’empereur « jure sur la bible » de rembourser à échéance. Ces juros sont négociables, et leur commerce très actif ; il se déroule entre les banques locales, les hidalgos (les petits nobles) et les rentiers, parmi lesquels figurent les Grands d’Espagne, les banquiers génois implantés à Séville et les filiales des maisons allemandes. Le Trésor espagnol fait cinq banqueroutes en quatre-vingts ans ! La première est dramatique : Charles Quint abdique en 1555, se retire à l’Escurial et laisse une situation catastrophique à son fils Philippe II. Deux ans plus tard, l’Espagne déclare sa première banqueroute. Cette même année 1557, la France rivale fait aussi ce choix, Paris n’arrivant plus à payer ni ses dettes ni les mercenaires à son service ! La bataille de Lépante contre la flotte turque, en 1571, précipite une nouvelle banqueroute de Philippe II. Les dépenses militaires pour les troupes font exploser la dette. Le 1er septembre 1575, la banqueroute fait trembler la finance espagnole et le monde bancaire européen. Un accord est finalement trouvé : il prévoit de transformer la dette, qui atteint 14 600 446 ducats, en une nouvelle dette, échelonnée dans le temps ; la perte pour les créanciers de la monarchie s’élève à plus de 5 millions de ducats (37,69 % du total). L’Espagne de Philippe II fait encore faillite en 1596 ; et à nouveau en 1607, 1627 et 1647. Le Siècle d’or espagnol s’estompe progressivement…

La dette ottomane et la dévaluation de l’aspre au xvie siècle 

L’Empire ottoman, après les fastes et les conquêtes militaires de Soliman, pâtit de la mollesse de la Sublime Porte (le palais et la cour du sultan) et des intrigues du Divan (le conseil des ministres). Il subit de plus les répercussions de la crise économique de l’Europe. Les budgets n’enregistrent plus tous les revenus provenant des nouvelles conquêtes, des butins et des taxes sur le commerce maritime (océan Indien-Méditerranée). Les déficits de l’État et du commerce extérieur se creusent. La monnaie d’argent, l’aspre, circule mal : beaucoup de pièces sont fausses, d’autres contiennent trop de cuivre (l’aspre rouge) et la population thésaurise les bonnes pièces ou bien les échange en contrebande vers la Perse et l’Inde ; les deux pays ont un appétit permanent et insatiable pour l’argent-métal. Au cours de l’hiver 1585-1586, l’aspre est dévalué de 100 % ! De violentes révoltes éclatent dans tout l’Empire, l’inflation s’envole. Ainsi commence la décadence de l’Empire ottoman, le futur « homme malade de l’Europe »…

Les guerres napoléoniennes et la création des banques centrales 

Quelque banques centrales sont créées vers la fin du xviie siècle, avec pour objectif d’aider les pays à gérer leurs finances pendant et après les guerres et à absorber les émissions de la dette publique. C’est le cas de la Riksbank suédoise (1688), de la Bank of England (1694, fondée pendant la guerre de Neuf Ans), des deux banques autrichiennes (Wiener Girobank de 1703 et la Wiener Stadt-Bank de 1706) qui voient le jour après la guerre contre les Ottomans. Frédéric le Grand est lui-même le père de la Banque royale de Prusse, créée après la guerre de Sept Ans, en 1765. Les États-Unis se lancent eux dans une double expérience de création d’une banque fédérale pour gérer leurs énormes déficits publics. Les guerres napoléoniennes sont à l’origine de la Banque de France (1800), comme de celles de Finlande (1811) et de Hollande (1814). D’autres banques naissent après le Congrès de Vienne avec pour mission de remettre de l’ordre dans les finances exsangues des pays : les Banques d’Autriche (1816), de Norvège (1816) et du Danemark (1818). Mais la liste des banqueroutes est longue au cours du xixe siècle. L’Autriche connaît ainsi deux faillites (1802 et 1868). Puis viennent les tours de la Russie (1839), de la Grèce (1832), du Mexique (1860) et de l’Égypte (1876) qui passera sous protectorat ­britannique... 

L’histoire confirme un dicton : la dette est davantage un problème pour qui la détient que pour qui l’a émise… Et les rentiers de Molière, Goldoni, Balzac, Zola et Tchekhov ont toujours été ruinés… 

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