Mon ordinateur commençait à avoir la grosse tête. Il se permettait de comparer son intelligence à la mienne. Tu es, lui ai-je dit, excellent pour trouver une information, classer, calculer, mais tu n’as aucune imagination, tu ne sais ni concevoir ni décider. Ce n’est pas un hasard si l’on dit du travail d’un humain qu’il est « assisté par ordinateur ». Tu es mon assistant.

Et je lui ai raconté d’où venait son nom. En 1965, voulant commercialiser en France sa machine électronique type 650, IBM cherchait un mot plus attractif que computeur, dérivé de computer. La firme a fait appel à un linguiste, professeur à la Sorbonne, Jacques Perret. Celui-ci a réfléchi successivement à plusieurs néologismes : combinateur, systémateur, congesteur, digesteur… Aucun ne lui semblait adéquat. Il a pensé alors à l’adjectif ordinateur figurant dans le Littré : emprunté au latin ordinator, ce mot évoque Dieu qui met de l’ordre dans le monde. La nouvelle machine ne créait-elle pas de la cohérence à partir d’une foule de données ? Le linguiste a fait valoir qu’« ordinatrice » éviterait toute confusion avec la théologie, mais IBM a préféré le masculin.

Tu ne m’apprends rien, j’avais tout ça en mémoire, m’a dit mon assistant. Son arrogance dépassait les limites ! Il fallait le remettre à sa place, lui rappeler qui est le chef. En guise de punition, j’ai ordonné à l’ordinateur de trouver comment persuader un abruti d’automate programmable que son cerveau est d’une autre nature que le mien. Il n’a pas compris la question.

Avec le recul, je m’en suis voulu de ma brutalité, qui pouvait passer pour du harcèlement. Aurais-je été moins agressif avec une ordinatrice ?  

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