Fin 2022, le paysage de l’intelligence artificielle s’est enrichi de ChatGPT : jouet pour certains, futur de l’humanité pour d’autres, parfois sujet d’inquiétude, il envahit l’actualité. Si les spécialistes du domaine connaissaient déjà la puissance du modèle de langage sous-jacent, GPT-3, la sortie de ChatGPT met à jour des avancées majeures, par exemple dans les capacités de dialogue du système, mais surtout expose cet outil au grand public qui prend conscience de l’étendue de ses possibilités. Par l’aspect spectaculaire des résultats obtenus, la sortie de ChatGPT marque l’opinion publique et pose de nouveau la question de l’hégémonie d’un certain nombre d’acteurs privés. ChatGPT, Dall-E, Imagen et nombre de succès récents de l’IA sont développés par les « géants du Net » étasuniens ou encore chinois et, sur le plan technologique, nécessitent des investissements colossaux en matière de ressources humaines, de temps de calcul et évidemment de quantité de données. Ils font la réussite de ceux qui ont opté pour des mégamodèles à base de réseaux de neurones, là où la France ne peut que constater son retard.

L’utilisation massive ou au moins généralisée d’un outil tel que ChatGPT – qui, s’il est encore loin d’être parfait, propose des arguments, des explications, des conseils, rédige des lettres de motivation ou résume des textes – pose la question des choix qui ont présidé à sa conception, des limites qui lui ont été imposées et des données sur lesquelles il a été entraîné, car il est potentiellement le véhicule d’une culture spécifique et de valeurs qui vont influencer ses utilisateurs, citoyens du monde. Par ailleurs, ces mêmes utilisateurs sont aujourd’hui une manne pour OpenAI, éditeur de ChatGPT, puisqu’ils contribuent à en poursuivre l’entraînement – donc à augmenter ses capacités – et à tester sa robustesse et, insidieusement, à entretenir sa position dominante. L’outil restera-t-il gratuit une fois peaufiné de la sorte ?

Cette hégémonie actuelle pose en tout cas des questions de souveraineté. ChatGPT aurait-il pu être français (ou européen) ?

Cette hégémonie actuelle pose en tout cas des questions de souveraineté. ChatGPT aurait-il pu être français (ou européen) ? La France dispose d’une école de mathématiques et d’informatique mondialement reconnue et donc des talents nécessaires au développement des technologies de pointe. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont poussé les géants internationaux à installer des laboratoires d’IA à Paris. Elle s’est aussi récemment dotée du supercalculateur Jean-Zay, qui offre gratuitement des ressources de calcul de niveau international à la communauté scientifique. Une initiative, née de la collaboration de plus de deux cents chercheurs internationaux utilisant Jean-Zay, a permis de publier en 2022 le modèle de langage Bloom : mégamodèle ouvert, de taille comparable à GPT-3, avec des performances (pour l’instant) légèrement inférieures, du moins en anglais.

La France reste très bien positionnée en recherche, garante des innovations de demain, dans un domaine où la boucle « recherche-preuve de concept-produit » est extrêmement courte. Ce qui manque à un projet tel que Bloom, c’est le dernier maillon : les investissements nécessaires à son industrialisation, par exemple pour l’entraînement de l’interface de dialogue. C’est là que l’absence de géants du Net en France (et en Europe) se fait cruellement sentir et qu’il faut intensifier les investissements pour en faire émerger. Enfin, la course au gigantisme des modèles finira par connaître un ralentissement dans un contexte de ressources limitées. L’avenir nous dira si le choix de la France d’investir massivement sur une IA plus frugale, responsable et explicable, portera ses fruits. 

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