Libérer les employeurs des contraintes
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« Nous permettrons de négocier au plus près du terrain. Le Code du travail définit un socle de droits et de règles (durée légale du travail, salaire minimum, égalité professionnelle...), qui continuera de s’imposer aux entreprises. Une démarche volontariste sera engagée pour réduire fortement le nombre de branches à celles qui pourront pleinement participer à une politique de filière au-delà des métiers et des secteurs : nous pouvons viser d’en avoir entre cinquante et cent. »
Programme d’En marche !
L’avant-projet de loi
Que prépare le gouvernement pour réformer le « marché du travail » ? L’exécutif a d’emblée renié l’avant-projet de loi présenté par Le Parisien du 5 juin, tout comme les textes issus de la Direction générale du travail (DGT) rendus publics par Libération, lesquels auraient été « volés » par ce quotidien avant même d’avoir été portés à la connaissance de la ministre. À l’heure actuelle, le citoyen désireux d’en savoir plus dispose donc uniquement des diverses déclarations faites par le candidat Macron, puis par les ministres du nouveau président, et du document officiel envoyé aux partenaires sociaux le 6 juin.
Il n’y a cependant pas de contradiction entre ces différents textes : si les deux journaux présentent des scénarios à la fois plus précis et plus étendus, la base reste dans tous les cas la même. Il s’agit de donner une place beaucoup plus importante aux accords d’entreprise (par rapport au Code du travail, aux accords de branche et au contrat de travail), de plafonner le montant des dommages et intérêts dus en cas de licenciement injustifié, d’autoriser l’employeur à créer des « accords » d’entreprise par référendum (sans, voire contre l’accord des syndicats) et de fusionner les institutions représentatives du personnel, le tout pour « sécuriser » les employeurs.
Le postulat qui guide l’ensemble de la réforme est bien connu. C’est celui qui a inspiré les travaux de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) depuis les années 1980 et qui consiste à considérer que les « rigidités » à l’œuvre sur le « marché du travail » font obstacle à l’allocation naturelle des emplois – la fameuse destruction créatrice de Schumpeter –, en empêchant en particulier que ceux-ci soient supprimés suffisamment vite en cas de besoin. À la fin des années 1990, l’OCDE avait présenté un indicateur de la rigidité de la législation protectrice de l’emploi censé comparer les performances des pays en cette matière et les inciter à faire mieux, conformément au benchmarking désormais érigé en méthode de gouvernement : il faudrait copier sur les voisins qui font (ou semblent faire) mieux, c’est-à-dire faciliter à la fois les embauches en contrat à durée déterminée (CDD) et les licenciements. Ce qui aboutit à cette affirmation paradoxale : pour relancer l’emploi, il faut faciliter sa destruction.
Les travaux susceptibles d’étayer cette thèse sont pourtant rares. La dernière étude réalisée sur 111 pays par le département de la recherche de l’Organisation internationale du travail (OIT) montre même le contraire : la déréglementation du contrat de travail entraîne une augmentation du taux de chômage et une diminution du taux d’emploi… Mais peu importe la réalité, insistent les tenants de ces thèses, ce qui compte c’est la psychologie de l’employeur, sa peur d’embaucher par crainte des rigidités. Pour dissiper ce sentiment de peur, un « choc de confiance » est nécessaire, qui doit permettre de montrer aux employeurs qu’ils n’ont plus à craindre les décisions des juges et que le droit sera désormais à la fois strictement encadré et à leur main, forgé dans leurs entreprises. Ces idées font l’objet de revendications patronales constantes depuis la fin des années 1970. Et elles ont déjà inspiré des dizaines de lois au cours des trois dernières décennies. Le projet gouvernemental consiste simplement à aller plus loin dans cette direction : un travail toujours plus flexible et un droit toujours plus près des entreprises.
Commentaire
Le risque principal de cette persévérance est de déséquilibrer toujours plus la relation asymétrique qui existe entre l’employeur et ses salariés (et que le droit du travail et les conventions collectives sont précisément chargés de corriger). Ce fut le cas lors de la mise en place du contrat nouvelles embauches (CNE), présenté par Dominique de Villepin comme l’expérimentation de la « flexicurité » en France. Ce contrat réservé aux entreprises de moins de 20 salariés permettait à l’employeur de se séparer de son salarié sans justifier d’aucun motif. Une enquête menée par le Centre d’études de l’emploi avait mis en évidence que les promesses de sécurité censées compenser ce surcroît de flexibilité (une prime de rupture et un accompagnement renforcé de Pôle emploi) n’avaient jamais été efficaces. En revanche, les relations employeur-salariés s’étaient considérablement durcies, l’employeur disposant d’un pouvoir considérablement augmenté. Plafonner les indemnités dues en cas de licenciement abusif, c’est permettre de licencier sans motif à un coût prévisible et abordable. Cela revient à autoriser le licenciement par caprice, sur un coup de tête. Certains économistes tentent de rassurer en expliquant que le licenciement doit être dédramatisé et qu’à partir du moment où les transitions sont « sécurisées », tout se passera bien. Les études sur le devenir des victimes des grandes fermetures de sites pourraient tempérer cet optimisme. Lorsqu’on sait que ces fermetures se font le plus souvent sans remboursement des aides publiques et sans dépollution des sites, on peut légitimement se demander si leur simplification et leur accélération constituent vraiment la solution.
Le paradoxe le plus vif se situe sans doute au niveau de la défense affichée du dialogue social par le gouvernement quand, au même moment, il envisage la fusion des institutions représentatives et l’essor du référendum. Il est donc question de réduire le nombre d’interlocuteurs syndicaux dans les entreprises et de permettre de contourner ceux qui subsisteront. Il est aussi prévu d’interdire les clauses des conventions de branche qui rendent ces conventions impératives. Les patrons sont d’accord pour imposer une protection commune sur toute la branche ? Cela leur sera interdit. Une convention d’entreprise doit pouvoir détruire leur œuvre.
Autre ambition : faire prédominer l’accord d’entreprise sur le contrat individuel. Un salarié ne pourrait plus refuser la réduction des avantages qu’il avait obtenus dans son contrat. Ici, c’est le respect de la parole donnée qui n’a plus de valeur aux yeux du gouvernement.
Il y a bien une logique à l’œuvre derrière ces solutions. Il s’agit de libérer les employeurs et les entreprises des contraintes situées au-dessus (la branche et même la loi) et au-dessous (les contrats). Il s’agit de les libérer des contraintes même lorsque ces « contraintes » sont en réalité le résultat du dialogue, du consensus – ce dialogue et ce consensus que l’on prétend promouvoir. Ce n’est pas le dialogue que l’on promeut, c’est le droit du travail que l’on démantèle.
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