« Nous créerons un état-major permanent des opérations de sécurité intérieure, de renseignement et de lutte contre le terrorisme. Directement rattaché au président de la République, il associera les services et états-majors des ministères de l’Intérieur et de la Défense, avec la participation des ministères des transports, de la santé et de l’industrie. »

Programme d’En marche !

Le projet de loi

L’engagement de créer un état-major auprès du président de la République a pris corps avec la création d’un Centre national de contre-terrorisme (CNCT), décidée lors du conseil des ministres du 7 juin. Présidé par le préfet Pierre de Bousquet de Florian, ancien directeur de la Direction de la surveillance du territoire (DST, devenue DGSI en 2014), il comptera une vingtaine de membres : des analystes issus des services de renseignement et des experts venus du monde de la recherche.

Sa mission n’est en aucun cas de conduire des opérations, mais de fournir en temps réel au président de la République une synthèse des analyses de situation et une évaluation stratégique des menaces. Pour contrer les tendances au cloisonnement des services et le risque, fréquent, d’auto-orientation dans la recherche des données brutes, le CNCT devra fixer les axes d’enquête pour permettre à l’État d’anticiper en connaissance de cause.

Il s’agit d’abord d’améliorer le pilotage et la coordination entre services et entre structures moins connues (Service central du renseignement territorial, Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, Unité de coordination de la lutte antiterroriste, État-major opérationnel de prévention du terrorisme, gendarmerie), ainsi que la coopération internationale. Et le monde commence pour la France en Belgique, en Allemagne et au Royaume-Uni. L’approche sera pluridisciplinaire et le directeur du CNCT a suffisamment d’expérience et d’autorité pour faciliter la coordination des services qui relèvent de plusieurs ministères (Intérieur, Défense, Finances, Justice). 

Le début du mandat présidentiel a logiquement entraîné de nouvelles nominations à ces postes très sensibles. Le préfet Laurent Nunez a été placé à la tête de la DGSI. Il était jusqu’alors en charge de la police à Marseille, où il a combattu avec efficacité les trafics de drogue et d’armes, après avoir servi comme directeur de cabinet à la préfecture de police de Paris. L’ambassadeur Bernard Émié dirige la DGSE : ancien chef de mission diplomatique à Amman, Ankara, Beyrouth et Alger, il apporte sa connaissance de l’arc de crises du Maghreb et du Machrek. Il a servi au cabinet de Jacques Chirac en même temps que Bousquet de Florian, ce qui constitue un atout important dans un monde où la confiance entre les hommes est centrale. 

Sur le fond, l’enjeu est de bien appréhender l’interaction entre les deux dimensions des menaces, interne et externe, en un temps où le risque ne se limite pas à une entité, Daech, en perte de vitesse. Le renseignement n’est pas seulement un ensemble de techniques ; c’est également un état d’esprit, une pensée sur les environnements sociopolitiques qui forment, avec le milieu fluide de la société de l’information, le terreau des actions violentes, dont l’essence est précisément, comme l’expliquait Raymond Aron, de rechercher « un impact psychologique hors de proportion avec les effets physiques produits et les moyens utilisés ». 

 

Commentaire

En matière de renseignement, il est raisonnable de se souvenir d’un adage de bon sens : « Ceux qui savent ne parlent pas, ceux qui parlent ne savent pas. » Il convient donc de trouver une position d’équilibre dans l’appréciation des nouvelles mesures préparées sous la houlette du préfet Patrick Strzoda, directeur de cabinet du président et ancien directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur. 

Le centre français est créé après bien d’autres en Europe et aux États-Unis, car partout dans les démocraties occidentales s’est fait jour le besoin d’une structure de pilotage placée auprès de l’exécutif. La référence est le centre américain du même nom, accolé au directeur national du renseignement, et non à la Maison Blanche.

Le schéma d’une « task force anti-Daech » annoncé initialement a été finalement écarté : Daech n’est pas la seule menace puisque Al-Qaïda prospère. Afficher une telle task force aurait été faire le jeu de l’adversaire, qui sait tirer parti de l’écho immédiat de ses actes criminels dans nos sociétés médiatisées à l’excès. 

De même ne peut-on pas réduire la lutte antiterroriste au dispositif, certes valorisant en cas de succès, d’une traque contre un seul dirigeant. (On se rappelle l’opération de neutralisation de Ben Laden conduite dans une war room et suivie en direct par le président Obama.) La guerre doit rester secrète, les acteurs étatiques responsables de la sécurité nationale doivent imposer une distance. 

Il conviendra également d’envisager les actions et discours terroristes dans un périmètre plus vaste que celui du seul renseignement : Éducation nationale, Justice et collectivités locales ont leur rôle à jouer pour prévenir en amont et maintenir la résilience de la société en cas de nouveau drame, y compris dans la formation aux premiers secours.

Enfin, les enquêtes d’opinion confirment que les Français sont 65 % à estimer que les mesures prises dans la lutte contre le terrorisme sont insuffisantes. Le nouveau pouvoir doit en tenir compte car l’action terroriste, qui est là pour durer, nous rappelle une évidence pointée par le philosophe Julien Freund dans L’Essence du politique, un livre de 1965 : « Comme tous les pacifistes, vous pensez que c’est vous qui désignez l’ennemi ; or, c’est l’ennemi qui vous désigne […]. Et il vous empêchera même de cultiver votre jardin. » 

 

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